POUR L'ÉCOLE

100 PRINCIPES POUR L'ÉCOLE - Plan

GENÈSE D'UN LIVRE - Ré-écriture d'un entretien avec Edgar Morin - LE CANTIQUE DES CANDIDES  - 

PRINCIPES ISSUS DE LA THERMODYNAMIQUE PRINCIPES ISSUS DE LA BIOLOGIE - PRINCIPES ISSUS DE LA SYSTÉMIQUE

PRINCIPES ISSUS DE LA NEUROBIOLOGIE - NÉCESSAIRE ÉMERGENCE DE NOUVELLES VALEURS PRINCIPES PÉDAGOGIQUES

PRINCIPES ISSUS DES CONSULTATIONS NATIONALES - DE L'AMOUR

 

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DIDACTIQUE

 

LA GUERRE DE LA LECTURE N'EST PAS TERMINÉE...

L'apprentissage de la langue est évidemment un lieu privilégié d'affrontement entre un pouvoir cybernétique et un organisme vivant auto-programme : le grand Appareil d'Éducation nationale.

Fin 1992, le Ministre diffuse une brochure dans toutes les écoles : "La maîtrise de la langue à l'école", surnommée la "bible rouge" ou le "livre rouge" par les I.E.N. et maîtres-formateurs. Cette brochure prétend, d'une part, faire le point des acquis de la recherche en matière d'apprentissage de la lecture et de récriture et prétend, d'autre part, fournir aux maîtres un ensemble d'orientations pédagogiques cohérentes.

Première chicane : la brochure se présente dans l'ordre inverse. D'abord, les instructions, puis les références scientifiques. On tire d'abord. On réfléchit ensuite. Quand on connaît la manière d'être lecteur des enseignants, on concentre le maximum d'injonctions (lesquelles vont prendre un caractère obligatoire, normatif) dans la première partie du texte, quitte à nuancer dans la seconde.

Nous allons donc prioritairement nous préoccuper de cette dernière intitulée : LIRE ET ÉCRIRE DES TEXTES À L'ÉCOLE : DE NOUVEAUX SAVOIRS POUR DE NOUVELLES EXIGENCES

(P- 109)

Dans l'introduction générale, il est écrit en caractères gras ; "les élèves Usent et écrivent mieux aujourd'hui qu'ils ne l'ont jamais fait à âge équivalent"

Un court historique montre l'évolution de la méthodologie de la lecture depuis le début de l'école publique. Les découvreurs : François RICHAUDEAU et avant lui Émile JAVAL, Jean FOUCAMBERT et l'A.F.L, Rachel COHEN, Éveline CHARMEUX ne sont jamais cités. Les pédagogues emblématiques : FREINET, PROFIT, DECROLY, KORCZAK... non plus. Ces grands ancêtres sentent encore le soufre...

Le pronom indéfini ON, comme disait mon vieux maître, qualifie celui qui l'emploie...

En page 120, on peut lire une phrase qui met en péril tout le reste du bel échafaudage "cybernétique" : "On sait aujourd'hui qu'innovation méthodologique ne peut se diffuser sans se transformer", suivie déconsidérations sur l'évolution des modèles théoriques et des conflits de méthodes d'apprentissage. Cependant, selon les oracles du Ministère, la querelle "métho­des syllabiques - méthodes globales" serait résolue depuis les années 1930 grâce aux méthodes mixtes ou naturelles. Affirmation démentie ensuite lorsqu'on parle de celles qui privilégient le sens (s'adressant à des élèves idéaux que RICHAUDEAU pourrait nommer les "chinois", et qui ont une approche idéographique de la lecture) et celles qui mettent en avant la combinatoire morphophonétique (destinées aux Phéniciens).

"Le débat est encore largement ouvert. " (p. 122), Mais en fait, les instructions placées en amont l'ont déjà clos... Et il faudra attendre la page 125 pour que les auteurs (anonymes) avouent lacunes et inévitables simplifications. Cela aurait pu être annoncé dans l'avertissement. Mais c'eût été hypothéquer les instructions et fausser le pro-gramme.

Viennent alors le point des connaissances et les questions en suspens à la question : "COMMENT L'ENFANT APPREND-IL À LIRE ET A ÉCRIRE DES TEXTES ?"

Cet enfant singulier Test effectivement puisqu'on ne le rencontre nulle part. Or les enseignants ont affaire, dans la réalité, à des enfants singuliers.

Les auteurs masqués nous parient de la précocité des premières découvertes de l'écrit. Mais dans la première partie, ils s'opposent à un enseignement précoce de la lecture au nom d'une nécessaire et préalable réflexion sur la langue. Vous avez bien lu ; avant de lire et d'écrire, il faut avoir réfléchi. C'est là nier les activités de pseudo-lecture et de pseudo-écriture des tout-petits "lisant" et "écrivant" par imitation de leur entourage et donc concevant avant la lettre qu'il y a dans ces actes prise et production de sens. Car lorsqu'un enfant de 3 ans parcourt les pages d'un livre et imagine une histoire d'après ce qu'il voit (iconographie et typographie) il ne fait pas semblant de lire. Ce n'est pas pour lui un artifice. Pour lui, il lit. Il sait ce que lire signifie. Il ne connaît rien encore de la double articulation de la langue alphabétiforme. Mais il a l'intuition que lire, c'est prélever du sens.

De ce fait, un enfant vivant dans un environnement de lecteurs et d'écriveurs aura des chances de devenir plus précocement et plus sûrement vrai lecteur que l'enfant allaité des journées entières cathodiquement: au sein d'une famille rivée devant la lucarne.

La formule ministérielle se résume à un paradoxe élégant et bien français : "Il faut comprendre pour apprendre". Formule si époustouflante qu'elle justifie, en amont de la brochure, le sempiternel B.A. BA des méthodes synthétiques et du déchiffrement !

En effet, il faut comprendre que "NOÉMIE NETTOIE LE LINO" (version traditionnelle du faux texte décrivant un monde factice) ou que "AMIE ANNIE AU BOIS JOLI GAMINE LE PINSON" (version moderne et perverse) pour apprendre à lire...

Qui se souvient de son enfance sait comment il a eu une relation singulière, unique et souvent proprement magique avec la langue orale, puis écrite. Et la clarté "cognitive" souhaitée par les auteurs camouflés de la brochure ressemble fort au Saint-Esprit colombomorphe de nos vieux catéchismes.

"Pour apprendre à lire et à écrire, l'enfant doit d'abord avoir un usage efficace de la langue parlée".

Ceci a l'air de bon sens. Mais il s'agit en fait d'un argument idéologique.

Car il faudrait que les auteurs inconnus nous expliquent comment des sourds-muets apprennent à lire. Et sans aller chercher des cas extrêmes mais extrêmement parlants, il suffit de penser aux différentes variétés phonétiques dialectales d'aujourd'hui et de naguère et qui ne gênent en rien l'apprentissage de la lecture.

J'ai connu pour ma part, en 1986, un enfant de CE1 qui avait parfaitement appris à lire malgré un bec-de-lièvre très invalidant. S'il entendait correctement la parole environnante, comment percevait-il sa propre prononciation essentiellement vocalique ? Or cet enfant comprenait le sens de ce qu'il lisait mais avait, en outre, à haute et inintelligible voix, une lecture expressive.

Qu'on nous explique comment les musiciens lisent la musique. On sait qu'ils ne passent pas nécessairement par la réalisation vocale ou instrumentale. En lisant une orchestration polyphonique, ils se créent, en leur for intérieur, une représentation, une "image" mentale de la musique. Qu'on nous explique encore pourquoi la lecture des nombres sous forme de constellations, de chiffres arabes ou romains échappe à l'oralisation. Il n'y a que l'imbécile créé par Jacques BREL pour lire Georges Vé au lieu de Georges 5...

Les auteurs de l'ombre présentent le système alphabétique comme une création récente de l'Humanité. Sous-entendu : l'alphabet est un progrès sur le pictogramme, le hiéroglyphe ou l'idéogramme. Or, un quart de l'Humanité actuelle parle et écrit une langue idéographique. Nous sommes d'accord pour dire qu'elle est, de prime abord, peu "économique" : un jeune Chinois doit apprendre à reconnaître et à dessiner près de 2000 caractères de base. Il parviendra jusqu'à 30 000 au cours de l'enseignement secondaire.

L'apprentissage des idéogrammes ne passe pas seulement par la vue mais par toute une gestuelle. Avant d'être tracé au pinceau, l'idéogramme est dessiné dans l'espace, donc littéralement in-corporé. Nos maîtres du CP faisaient certes tracer les lettres latines dans l'espace. Mais ces lettres sont abstraites alors que chaque idéogramme est porteur de sens. Les Japonais utilisent les caractères chinois. Ils les combinent et les prononcent différemment. Le mandarin est un chinois standard. Les parties des différentes provinces de l'Empire du milieu sont très différents. Mais ta langue écrite, idéographique, reste compréhensible pour tous et sert de ciment linguistique. Certains la considèrent même, avec la langue des signes des sourds-muets, comme la seule langue universelle possible.

Le chinois, comme la langue signée, présente surtout l'intérêt de développer l'hémisphère cérébral droit (synthétique, analogique, spatial, intuitif global), celui que les systèmes éducatifs occidentaux ont une fâcheuse tendance à négliger, celui qui a permis à une science et à une technologie chinoises de se développer alors que nous étions aux temps barbares.

 Quand on sait que les Japonais entendent les sons de la nature non comme des bruits mais comme un langage, quand on voit les étudiants chinois parler un français presque parfait alors que tel homme politique ou tel cinéaste perpétue la tradition de Maurice CHEVALIER en ânonnant un anglais très banlieusard, quand on constate que la calligraphie est demeurée en Extrême-Orient un art d'excellence, on est en droit de s'interroger sur la "supériorité" auto-proclamée du système alphabétiforme.

Une phrase de la "bible rouge" (p. 136) mérite d'être citée; "...lorsqu'un phonème est réalisé dans un énoncé, il est toujours contaminé par son environnement. "

Eh oui, l'articulation du codage alphabétique, renforcée par l'arbitraire de l'orthographe (fossile de la langue écrite, la nôtre. Les Espagnols et les Italiens ont réglé ce compte-là depuis bien longtemps...) rend difficile l'enseignement du principe alphabétique de notre système d'écri­ture. Les auteurs sans nom admettent l'aspect logo-graphique de la première étape d'appren­tissage.

L'enfant de Maternelle reconnaît le mot maman, papa, Ophélie ou Wilfried, Christophe ou Adélaïde... Je cite évidemment à dessein des prénoms où la relation grapho-phonétique est singulièrement chahutée.

Mais pour apprendre à reconnaître 2000 mots, ce qui est apparemment possible pour les petits Chinois, semble au-dessus des forces des petits Européens...

On va donc systématiser (dans l'esprit des auteurs : pour automatiser. Ce mot revient sans cesse et signe bien là le caractère cybernétiste, pour ne pas dire mécaniste, du texte ministériel) le travail sur les correspondances grapho-phonies. Ce qui oblige, bien évidemment, à oraliser systématiquement ou à subvocaliser.

Après cette étape puis le stade orthographique "...l'enfant a rejoint le mode d'accès direct aux mots, mais avec une toute autre efficacité qu'au stade logo-graphique puisqu'il identifie maintenant non seulement des mots qu'il connaît déjà, mais aussi des mots qu'il reconstitue à partir de leur structure orthographique sans avoir besoin de la déchiffrer. C'est l'automaisation de cette procédure qui, progressivement, libère l'enfant des tâches d'identification et le rend plus disponible aux tâches de compréhension. " (p. 138).

Oui, mais au prix de quelle mutilation de l'hémisphère droit ! Carnage évidemment indifférent à nos auteurs en tenue de camouflage qui sont pour la plupart de serviles cerveaux gauches jusqu'à la caricature...

L'approche "globale", dite deuxième voie est présentée par nos auteurs voilés comme une sorte de fantasme pédagogique, un scénario cognitif, une fantaisie didactique qui tient en 2 pages tandis que la première voie a été explicitée sur 3 pages et demie. Au passage, on a assassiné le concept de lecture rapide en en faisant non un moyen mais une conséquence de lecture efficiente.

C'est en page 142 que les auteurs sans visage mettent le pied dans la complexité. Pour apprendre, il faut avoir compris. Mais il  faut apprendre à comprendre : c'est une exigence continue...

On est en pleine aporie de la poule et de l'œuf !

"Le lecteur doit avoir reconnu les objets et les actions dont le texte parle... "(p. 145)

Qui a déjà expliqué à un enfant de 3 ans ce qu'était un ogre, une sorcière, une fée, une princesse ? Quand on cite la Belle au bois dormant, qui dort ?

En page 147, après avoir jeté le doute sur les formules de lisibilité (mises au point par qui, où, quand ? Mystère...), les auteurs de l'obscurité font l'éloge des textes explicites (chargés de relations de subordination) au dépens des textes elliptiques. Là encore, ils manifestent leur aversion pour l'intuition et l'analogie, la globalité.

Le lecteur est définitivement considéré comme une machine, un automate lorsque les auteurs souterrains précisent : "En fonction du but à atteindre..., le lecteur doit être capable de sélectionner une ou plusieurs procédures dans l'éventail de celles qui sont disponibles... il doit alors lire selon une procédure choisie et contrôler régulièrement que les moyens mis en oeuvre sont conformes aux objectifs poursuivis".

Quand on sait la part de rêve, de rêverie, les cavalcades de l'imaginaire, le rôle des fantasmes, le grain de folie mis EN JEU dans l'acte de lire, on ne peut être que consterné devant la description mécaniste, procédurière, froide que nous proposent les auteurs abyssaux. Ce qui ne les empêche pas de conclure (p. 162) : "La lecture est en effet une activité mentale dont il n'est pas facile d'objectiver les manifestations. "

C'est que l'effet aile de papillon ne joue pas seulement dans la formation des cyclones...

Chacun s'accorde à reconnaître qu'il existe, à un moment de l'évolution de l'enfant dans son apprentissage, un effet de seuil. Tous les mots ne sont pas connus ou re-connus. Toutes les combinaisons de phonèmes n'ont pas été "vues". Et pourtant, soudainement, l'enfant SAIT LIRE. Et là, demeure le mystère. L'élément déclencheur, celui qui fait passer le cerveau apprenant à un stade supérieur d'organisation (supérieur à la somme des mots et des combinaisons intégrés), ce battement d'aile de papillon peut être un mot nouveau qui agit comme un code d'accès sur l'ensemble des connaissances engrangées. Ce peut être une émotion, un fort désir de réussite suscité par la famille. Ce peut être une terrible angoisse, la carotte ou le bâton, la naissance du petit frère, le sourire de la maîtresse. Ce peut être les deux LL du papiLLon...

La "bible rouge" est une mauvaise action d'un soi-disant ministère de "gauche". Le samedi 13 Février 1993, vers 19 h 45, un éventuel futur ministre (de droite) de l'Éducation accusait, une nouvelle fois, en direct, face à la journaliste de TF1 qui semblait opiner, la méthode globale de tous les maux. Mais ça ne suffisait pas. Il ajoutait que les méthodes mixtes sont des méthodes globales déguisées. Et de citer très vaguement les travaux d'une grande neurologue de renom mais dont il a pris soin de ne rien dire... Ceci porte un nom : désinformation. Et nous ne sommes pas loin des errements de certains "scientifiques" soviétiques... Or, quand on entend ici et là, souvent, sur le terrain, telle maîtresse de C.P., annoncer qu'on verra le son MEUH la semaine prochaine, on se dit que de toute cette farce pseudo-cartésienne est bien triste. En vérité, il s'agit là, comme toujours d'une farce politique dont les enfants, les enseignants et la Nation feront, comme d'habitude, les frais.

La bibliographie qui clôture la "bible rouge" est pleine de noms inconnus. Les instituteurs connaissent RICHAUDEAU, FOUCAMBERT, RÉMOND. Ils ont largement utilisé leurs ouvrages, leurs outils, leurs manuels. Et ils ont progressé. En enrichissant leur pratique pédagogique, en la COMPLEXIFIANT.

Gageons que les inconnus qui se sont introduits au Ministère pour y perpétrer un putsch intellectuel ont déjà sous le coude les livres, outils et manuels qui seront proposés demain sur le marché, avec en prime, la bénédiction et l'imprimatur de l'autorité administrative. Un futur ministre n'a-t-il pas déjà condamné publiquement tout ce qui ressemble de près ou de loin à la méthode globale ?

Au nom d'un cartésianisme dépassé, le système éducatif français s'enferme frileusement dans un conservatisme exacerbé. Le B.A. BA est une sorte de monument national comme Jeanne d'Arc, Napoléon ou ... l'orthographe. Dans ce pays, le discours est considéré comme un sport. Qu'importé ce qu'il a dit, mais qu'est-ce qu'il parle bien ! Il parie bien et il présente bien ! Le paraître bien sûr...

Quand le Chancelier allemand emmène avec lui à l'étranger des chefs d'entreprise, le Président français se fait accompagner de linguistes et d'écrivains. On vend ce qu'on peut. Et quand on ne peut pas vendre, on fourgue...

La méthode naturelle de lecture, en fait, la méthode d'aide à un apprentissage "naturel" de la lecture (et de récriture) a été impulsée par FREINET et systématisée par lui dans un ouvrage de 1961. Une refonte a été élaborée coopérativement en 1980. On comprendra, en découvrant ses caractéristiques, pourquoi elle choque l'administration et comment elle heurte des intérêts commerciaux et corporatistes. La méthode naturelle n'isole pas la lecture des autres activités scolaires.

Elle est donc trans-disciplinaire. La transdisciplinarité, tout le monde est pour. En théorie. Car dans la réalité, cela fait vraiment désordre. Or, ce pays aime l'ordre. C'est une méthode globale qui part DES PHRASES DES ENFANTS. Elle possède donc en soi le germe de la disparition des manuels. Or, il s'agit là d'un marché juteux que personne ne veut voir disparaître...

C'est une méthode idéo-visuelle. Elle s'oppose donc au B.A. BA national.

C'est enfin une méthode coopérative qui suppose une intense vie de groupe fortement régulée. Or il vaut mieux, dans ce pays, être un maître victime de potaches indisciplinés qu'un maître incitant les enfants à la responsabilité démocratique c'est-à-dire formant de futurs contestataires...

La méthode naturelle de lecture suppose un engagement total du maître qui travaille sans filet. L'absence de manuel est suspecte aux collègues, aux parents, aux élus... La création coopérative de ses propres outils par la classe dérange plus qu'elle ne rassure. On n'écrit pas pour rien. Il faut des lecteurs. On va donc se lancer dans l'édition d'un journal et/ou la correspondance scolaire. Autant de verges pour se faire battre...

L'expression libre des enfants est quelquefois explosive. Toutes ces réserves étant émises, si on se lance, prudemment mais sûrement, dans l'aventure, quelles joies, quelles surprises, quelles découvertes !

 

Michel DEBRAY  

Pour en savoir un peu plus sur la Méthode globale

A propos de la querelle et du diktat de De Robien (2006), des points de vue différents

 

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EXPÉRIENCE

Au début de ma carrière (1965), institutrice sur le "tas" - donc sans formation par l'École normale - je fus affectée en maternelle. Durant trois ans, j'appris avec les enfants à me débarrasser de mon langage de classe de philo, à soupeser leur temps d'attention, à constater avec émerveillement leur capacité créatrice.

Après de multiples remplacements, je fus ensuite nommée dans une école publique rurale à deux classes. J'avais la "petite" classe, donc plusieurs cours, delà Section Enfantine (à partir de 4 ans) jusqu'au CE1, En maternelle, comme il n'y avait pas de programmes précis, j'avais pris l'habitude de me servir de livres et non de manuels. Je me lançai ainsi dans le primaire, avec pour seul support, mon expérience des enfants, des références constantes à des ouvrages de psychologie enfantine ou de recherche en pédagogie. J'avais aussi dans ma classe ma fille de 4 ans qui commençait avec moi sa scolarité puisqu'à cette époque, les villages étaient dépourvus de classes maternelles. En outre, je rencontrais fréquemment des collègues auprès desquels je m'enrichissais professionnellement. J'avais équipé ma classe d'une imprimerie avec des polices de caractères différents et une presse à volet, divers ateliers d'expression : peinture, dessin, danse ... comme en maternelle.

Une enfant, le premier jour de classe gribouilla sur une feuille de papier.

Puis, elle vint me présenter son travail en me disant qu'elle avait écrit son nom. Plusieurs l'imitèrent. Un autre lui demanda :

- Tu t'appelles Sylviane comment ?

Alors, certains écrivirent leur nom et leur prénom en séparant leur gribouillis par un blanc. Puis Sylviane dessina un soleil pour signaler son prénom. Des pictogrammes naquirent ainsi peu à peu pour personnaliser chacun de nous. Certains noms ou prénoms présentant une identité phonique partielle, les enfants éprouvèrent le besoin de noter cette identité en ajoutant à leur pictogramme respectif un signe commun. J'ai appris que la langue japonaise procède un peu de cette façon.

Certains enfants se retrouvèrent donc désignés par un pictogramme plus complexe (2 signes).

Il y eut des moments de recherches longues et fructueuses. Il y eut des stagnations et nous abrégions notre temps de réflexion. En décembre, nous avions inventé de toutes pièces un code graphique tout à fait singulier et inédit. Je remarquai que les caractères graphiques s'épuraient pour rendre plus rapide la communication et plus commode la reproduction du signe par les autres. On voit immédiatement ici l'aspect sociabilisant de l'acte d'écrire. Nous savions désormais écrire nos textes et avec notre code, nous savions les lire. Parallèlement, certains enfants allaient à l'imprimerie composer et tirer des textes illisibles car les lettres furent d'abord juxtaposées aléatoirement dans le composteur, puis des groupes furent séparés au gré de l'intuition, de la fantaisie et de la recherche. Mais, là encore, chacun de nous savait ce que ces textes voulaient dire puisque, oralement, leurs auteurs en exprimaient le sens. Deux systèmes co-existaient donc :

-l'un, idéographique, porteur immédiatement de sens,

- l'autre dont le sens était porté immédiatement par l'oral et imaginairement transmis par le support apparemment inintelligible des lettres de l'alphabet typographique.

En fin de trimestre, personne ne lisait au sens où l'on entend généralement au cours préparatoire et pourtant chacun écrivait et lisait, donc produisait et prélevait du sens. Puis la classe éprouva le besoin de conserver sa propre mémoire de groupe pour que ce que nous disions reste, laisse des traces. Les enfants avaient bien vu que l'imprimerie permettait cette mémorisation et cette diffusion du sens. Mais comment imprimer nos textes puisque les signes typographiques étaient différents de nos pictogrammes inventés ? Il fallait passer de l'invention en circuit fermé au code conventionnel du monde adulte. La classe (et moi-même !) en ressentions le besoin. J'intervins dans ce sens. Cela ne posa de problème puisque nous avions codé et décodé du sens et des signes tout au long de nos recherches.

Le second trimestre fut un vrai commerce affectif avec les mots.

- Bien sûr que c'est le mot garçon, puisqu'il a un zizi. (la cédille)

- Ça, c'est locomotive; tu as vu, il y a plein de roues !

Les jeux sur les mots se succédaient : homonymies, homophonies, homographies, innombrables pièges inhérents à la langue française. Cependant ces traquenards n'étaient pas considérés comme dangereux mais comme supports à une multitude d'activités ludiques sur le langage.

A la fin du second trimestre, tout le monde, sans exception savait lire. Les tout-petits, comme ma fille, m'apprirent beaucoup par leur façon d'intégrer nos recherches ou d'intervenir dans nos apprentissages. J'emploie le possessif pluriel car je n'avais jamais vraiment appris à enseigner la lecture et j'apprenais avec les enfants au fur et à mesure qu'ils s'appropriaient le monde de l'écrit. Ils apprenaient en maniant avec bonheur le langage. Moi, je les observais et les aidais lorsqu'ils se heurtaient à des difficultés. Ni les uns ni les autres n'avions l'impression de perdre notre temps ou de nous ennuyer.

Pendant quatre ans, je n'ai jamais ressenti la moindre angoisse.

Étais-je naïve ? Au sens étymologique, oui. Je venais, d'une certaine façon, de naître... Les parents, peut-être inquiets au début, avaient été rassurés par la réussite et donc nous avaient laissé libres. La découverte fortuite de la MÉTHODE NATURELLE DE LECTURE de FREINET me conforte dans mon expérience qui recoupait celle du pédagogue.

La cinquième année, j'étais enceinte et devais accoucher en novembre 1974.

Je me décidai donc à faire le choix d'un manuel pour ne pas laisser ma remplaçante dans rembarras. Dès la rentrée, le SABLIER fut introduit dans la classe. Phénomène de mode peut-être et puis je pensais que ce manuel était proche de ce que nous faisions d'ordinaire.

À mon retour de maternité, je me posais des questions sur la nécessité d'un manuel de lecture car certains enfants qui semblaient prédisposés en Section enfantine présentaient des troubles dans leur apprentissage au C.P.

Était-ce dû au manuel ? A l'inexpérience de ma toute jeune collègue ? À la perturbation qu'entraîne trop souvent un changement de maître ? Je sais simplement que durant les quatre premières années et les trois qui suivirent, les enfants apprirent à lire sans problème. Je ne sais pas vraiment comment cela se fit mais je sais dans quelle ambiance de liberté ET de rigueur nous travaillions. J'ai cru comprendre alors que les manuels de lecture n'étaient pas de vrais livres car les vrais livres racontent de vraies histoires pour de vrais enfants. Au mieux, les manuels et leur méthode ne donnent que des embryons d'histoires aussi frustrants que les petits bouts de films que dispense la télé lorsqu'elle veut rendre hommage à un acteur disparu.

Pourtant, quelquefois, en faisant appel aux souvenirs, je me demande avec angoisse pourquoi je n'ai pas connu d'angoisse... Si j'avais connu l'inquiétude, aurais-je fait ce cheminement un peu fou mais tellement gratifiant ?

N'étant plus depuis plusieurs années à cette position stratégique qu'est le Cours préparatoire, j'ignore si je serais encore capable de retrouver - au sens premier - une telle innocence...

Danielle DEBRAY (1983)

 

 

LE CHINOIS, c'est de l'hébreu !

 

"La perception ou l'appréhension est le modèle essentiel pour l'existence de l'esprit, mais pour qu'il y ait  quelque chose dans le monde qui puisse produire cela, c'est ce que nous pouvons appeler la spiritualité inhérente à la matière."

Pour un tel énoncé, il ne fallait à ZHU XI (XIIème siècle) que quatorze mots : SO JIO ZHE XIN ZHI LI YE ; NENG JIO ZHE, QI ZHI LING YE.

"En d'autres termes, la fonction de l'esprit est parfaitement naturelle, c'est quelque chose que la matière a pouvoir à produire, une fois qu'elle s'est elle-même ordonnée à un niveau de structure et d'organisation suffisamment élevé."

 

d'après Joseph NEEDHAM, dans LA SCIENCE CHINOISE ET L'OCCIDENT - Points Sciences - 1969

Et cette citation est remarquablement actuelle puisqu'elle est en résonance avec la déclaration d'Henri ATLAN citée ici