POUR L'ÉCOLE

100 PRINCIPES POUR L'ÉCOLE - Plan

GENÈSE D'UN LIVRE - Ré-écriture d'un entretien avec Edgar Morin - LE CANTIQUE DES CANDIDES  - 

PRINCIPES ISSUS DE LA THERMODYNAMIQUE PRINCIPES ISSUS DE LA BIOLOGIE - PRINCIPES ISSUS DE LA SYSTÉMIQUE

PRINCIPES ISSUS DE LA NEUROBIOLOGIE - NÉCESSAIRE ÉMERGENCE DE NOUVELLES VALEURS PRINCIPES PÉDAGOGIQUES

PRINCIPES ISSUS DES CONSULTATIONS NATIONALES - DE L'AMOUR

 

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DE LA DISCIPLINE


DE LA DISCIPLINE...



Métier bizarre, mœurs étranges, formation ubuesque...

Vous devez enseigner une grammaire élémentaire et l'on vous inflige les querelles idéologiques grands théoriciens de la linguistique. Vous devez,  avec vos élèves, résoudre des problèmes d'arithmétique, et vous voilà embarqués dans un labyrinthe de mathématiques fondamentales. On pourrait espérer qu'en matière de psychopédagogie, genèse de la cognition, de connaissance de l'enfant, vos maîtres vous dotent d'un ensemble de postulats, d'une sorte de viatique élémentaire, certes très incomplet, mais rassurant pour vos premiers pas dans la carrière. Décidément, les modes et marottes, les systèmes et les mots d'auteurs, querelles d'écoles et les schismes rendent bien incertain le contenu du maigre bagage qui vous échoit dès vos débuts.

Cependant, il est un domaine où vous sortirez encore plus démunis de vos centres de formation,  de vos stages de remise à niveau, de vos séances d'animation : la discipline. Continent noir de pédagogie, la discipline semble aller de soi, elle n'intéresse pas les chercheurs, elle ne fait l'objet d'aucune conférence, d'aucun colloque, d'aucun ouvrage de référence.

Force principale des armées, dit-on, la discipline que vous ferez régner ou que vous négligerez signera à jamais votre image de marque. D'elle dépendront la chatoyance de votre aura et l'estime de vos contemporains.

Passons dans une école. Errons dans les couloir.
Certaines classes sont des tombeaux, d'autre bruissent, les unes expriment une fièvre de savoir, d'autres enfin sont de furieux tourbillons.



DE LA FÉRULE À L'AUTOGESTION



Un magister du XIXième siècle pouvait comptabiliser les chiquenaudes et croquignoles qu'il distribuait à ses ouailles. Verges, badines, baguettes règles... On pouvait aller, en ces époques, jusqu' au nerf de bœuf. Le châtiment corporel avait une justification biblique.

"Qui aime bien, châtie bien..."

Excessive dans le passé, la discipline s'est évaporée sous le souffle de l'enfant-roi. Les années 70 ont essayé de faire de la discipline une affaire groupale, le résultat d'une sagesse collective tenant à équilibrer la liberté individuelle à vocation centrifuge et la règle communautaire évidemment centripète. Des pédagogues, disciples de FREINET, DECROLY, PROFIT et KORCZAK consacraient avec leurs élèves beaucoup de temps à l'élaboration de règles de vie quotidiennes et pérennes. Une éducation civique, une histoire au ras des responsabilités journalières de chacun s'inscrivaient dans les mémoires et dans l'inévitable journal de bord de la classe où l'écume des jours laissait des traces à la fois dérisoires et formidables.

Dérisoires... Aux yeux aveugles des adultes extérieurs à la classe, ces règlements pointilleux sur le nettoyage des pinceaux, le rangement des dictionnaires, le changement d'eau des poissons rouges pouvaient effectivement sembler dérisoires. Les enfants pinaillent beaucoup sur les détails de la vie quotidienne qui établissent, au vrai, les devoirs et les droits de chaque membre de la communauté.
Car n'est-ce pas sur ces détails qu'achoppent tous  les couples, les groupes, les sociétés enfin ?

La liberté, l'égalité et la fraternité ne seraient que mots creux s'ils n'étaient frottés jour après jour à la tendance entropique, lourde et lente, triviale du vécu vrai. Un enfant, assis à une table, ingurgitant des sermons et des cours magistraux peut se résigner à ne voir dans les principes fondateurs de la démocratie qu'une belle enfilade de paroles désactivées.

Avec l'action, le travail vrai, celui de l'artisanat, la vie en groupe suppose, exige des règles.

Quand le petit peuple a découvert puis subi, à son échelle, la tyrannie, le despotisme éclairé, la monarchie constitutionnelle, la république consulaire, le régime des factions ou l'insupportable oligarchie du maître et de ses affidés, il invente ou réapprend avec plaisir les complexes arcanes de la démocratie. Il est facile de promulguer une loi implacable. Il est plus difficile de se plier à sa rigueur.

- Je propose qu'on interdise totalement le chewing-gum !

- Je propose qu'on écrive tous avec un porte-plume, comme du temps de mon grand-père!

- Ceux qui jouent au hockey pendant les récrés doivent ranger les crosses à la fin.

- Même s'ils ont prévu de s'inscrire à un atelier de sport juste après?

- Parfaitement ! Parce qu'ils peuvent changer  d'avis au début du choix des ateliers, aller à la peinture par exemple, et laisser les crosses de hockey en désordre !

Avec un certain recul, il est possible d'affirmer que les résultats étaient positifs et que cette discipline coopérative, véritable apprentissage de la démocratie au quotidien, a marqué à jamais les lèves qui en ont été les acteurs.

Et cela contre l'antienne réactionnaire d'Alain FINKELKRAUT dont le système repousse hors de l'École et même de l'Université l'apprentissage actif de la démocratie.

Cependant, souvenons-nous du temps proche où le mot collectivisme était péjoratif... Il l'est d'ailleurs toujours, ce qui ne laisse pas de nous surprendre...

L'individualisme est devenu dans la décennie 80 la règle affirmée. Dans le même temps, l'autorité des enseignants s'est socialement et psychologiquement délitée. 

De parents démissionnaires en éducateurs ligotés par les interdits et le mépris, l'enfant-roi est venu rapidement l'enfant-nu, ou, selon le mot de Françoise DOLTO, l'enfant-fou. Dépourvu repères, de structures, de limites, il est quelquefois odieux. Pour les autres et pour lui-même.
Une semaine après la rentrée de septembre, l'enfer que sera l'année scolaire se dessine déjà dans de lourdes fragrances de certaines classes très agitées quand approche l'heure de la sortie.
Enfants qui zappent la parole magistrale et laissent s'époumoner une institutrice qu'ils ne voient plus et qui leur est affectivement indifférente...



DURA LEX, SED LEX.



Il faut redéfinir les règles. En commun. La punition qui tombe comme la foudre dans le désert est incompréhensible pour des enfants à qui l'on n'a pas dit que la vie sociale exigeait une morale et donc un ensemble de règles. Ne pas accepter le vacarme comme une norme. Le bruit est une pollution. Certaines écoles seraient bruyantes, même habitées par des moines contemplatifs. Les locaux doivent être parfaitement insonorisés. Comme un bureau de ministre...

Hurler SILENCE ! crier CHUT ! est absurde et inefficace. Pour obtenir le silence, il faut faire silence et donc se taire. L'école souffre de logorrhée généralisée. Un code visuel : lever les index par exemple, en se taisant, doit permettre, par contagion, d'obtenir un "merveilleux silence" en moins d'une minute. Chacun, même le plus petit, doit pouvoir obtenir ainsi le calme dont il a besoin. Si un enfant demande le silence, le maître doit se taire et lever les doigts comme les autres. Il va sans dire qu'il est vain d'espérer imposer une quelconque discipline si ne s'y soumet pas soi-même...

Il faut proscrire le papier chiffonné jeté négligemment comme une aumône cyniquement consciente à des agents de service qui auraient mieux à faire au sein de l'équipe éducative que de servir de larbins à des petits monstres. Les enfants ne doivent pas se comporter en touristes dans les locaux scolaires hideux d'impersonnalité où rien ni personne ne laisse de trace, de scories. Cela suppose que les enfants soient partie prenante des projets d'aménagement de leur environnement. Ce qui symbolise hélas le mieux la plupart des écoles élémentaires, c'est la poussière et la bassesse architecturale. Les armoires sont pleines de trésors, de rebuts et de déchets. Les vrais inventaires, les véritables rangements, les indispensables restructurations fonctionnelles sont rares.



ENFANTS GÂTÉS DE LA FIN DU XXième SIÈCLE.



De la rue, les parents contemplent leurs rejetons qui s'insultent et s'entrelardent de coups de pieds imités des ninjas et autres crétins rebondissants. Cela se passe au moment de la "mise en rang".

Que pensent-ils? Leurs visages restent inexpressifs. Perplexité ? Ces enfants qu'il faut, selon :s propres vœux "prendre par la douceur", sont aussi des garnements dont "ils ne viennent à bout". Les parents confient à l'école maternelle des tyrans domestiques de vingt mois.
On peut espérer qu'entre le rôle ingrat de petite peste et celui, encore moins réjouissant, d'enfant martyr, il existe une solution médiane... Les parents observent le comportement "anarchique" de leurs fils. Des mots sont échangés. Brefs et inaudibles. Les langues se délieront ; plus tard, sur le chemin du retour à la maison. Que pensent-ils? Que la sonnerie est intervenue avec sept minutes de retard... Qu'il en faudra cinq encore pour que chaque maître obtienne un rang à peu près stable et calme... Que ces enseignants ont bien peu d'autorité... Ils le disent et répètent tant et tant, et devant les enfants, que ceux-ci sont évidemment persuadés d'avoir en face d'eux des pantins dérisoires. Les enseignants, de leur côté, ne prennent pas la peine de baisser la voix ou de n'être plus sous le regard des enfants pour vomir tout ce qu'ils pensent de certaines familles...

Dans cette "chaleureuse" ambiance, l'enfant, en meute, se pourlèche les babines. Oh ! Certes, il apprendra des choses... Dans le refus. Éventuellement dans la haine... On le verra peut-être, plus tard, massacrant le mobilier urbain, pratiquant le hooliganisme distingué, lapidant des étrangers, profitant de toutes les béances du système social pour s'empiffrer ou pour survivre.
Ce sera selon le hasard ou le rang. En meute, en rang, en gang, l'enfant se croit fort. Seul,  il est désemparé. Parents égoïstes, enseignants vilipendés... Restent les modèles cathodiques. Trompeurs. Fantômes. Qui dit aux enfants téléphages que les coups échangés sur l'écran sont des cascades, que le sang qui jaillit sort d'une poche d'hémoglobine, que la terreur maîtrisée de la fiction doit tout aux effets spéciaux ? 

Qui leur dit que la vraie vie est autrement plus belle et quelquefois plus horrible aussi?
Qui leur dit enfin la Thora, l'Évangile ou la Déclaration des Droits de l'Homme ?

Des parents avertis, apparemment champions de l'école égalitaire, parfois "de gauche", se font - en douce - les spécialistes de la concurrence entre établissements, les adeptes du piston et du passe-droit, les faiseurs et démolisseurs de réputation de telle école ou de tel prof ? Au discours humaniste, altruiste et solidaire s'oppose une pratique brutalement sélective. Après une période de consumérisme pédagogique, les parents "fédérés"  utilisent les ficelles du système pour se transformer en managers zélés de leur progéniture. Dès la maternelle. Jouant la ville contre la campagne, le public contre le privé, la pédagogie moderne contre la didactique traditionnelle. Ou réciproquement.

"Qu'importe la couleur du chat, l'essentiel est qu'il attrape les souris."- DENG Siao Ping
 
Il ne leur suffit pas de pousser  leurs enfants vers les sommets du savoir et de la réussite sociale. Leur bonheur exige des perdants, des victimes. L'idéal d'élévation de tout un peuple, de toute une humanité même, de ce que j'ai nommé par ailleurs corticalisation généralisée de l'espèce humaine, exprimé jadis par les poètes républicains est aujourd'hui tourné en dérision par la néo-bourgeoisie des classes moyennes. Il ne s'agit de promouvoir la réussite de tous - laquelle serait une injure à leur mentalité de parvenus - mais celle d'une pseudo-élite dont le plaisir se nourrit aussi de l'échec des autres.

Dès lors, les enfants ne sont plus, contrairement aux vœux pieux des pouvoirs, acteurs de leur propre formation. Ils sont  le prétexte d'une guerre de classes inavouée, les enjeux d'une revanche sociale pour des familles malmenées mais pas encore exsangues, les victimes d'un cynisme généralisé où les valeurs morales se sont inversées en une décennie.

Ainsi dans de nombreux cas, le premier objectif du fameux projet d'école devrait être de redonner à tous enfants, parents et enseignants, une dignité conforme aux exigences des Droits de l'Homme.

 


DIDACTIQUE

PROPOSITIONS POUR UNE ORGANISATION COOPÉRATIVE DE L'ÉCOLE.



LOIS FONDAMENTALES

1 - Finir ce que l'on a entrepris.

2 - Respecter le matériel individuel et collectif.

3 - Respecter le travail, les réalisations et le besoin de calme des autres.

4 - Assumer ses responsabilités imposées ou choisies librement.

5 - Respecter l'emploi du temps et le faire changer au besoin.

6 - Respecter le silence que chacun peut demander. La Bibliothèque doit devenir le Temple du silence.

7 - Écouter les autres et parler à son tour.

B - Dire franchement ce qui ne va pas dans la vie de l'école et proposer des améliorations.

9 - Ne pas courir ni chahuter en classe, dans les couloirs, sous le préau et dans la bibliothèque.

10- Éviter la violence sous toutes ses formes.

11- Ne pas être grossier, intolérant;
être poli et courtois.

12- Accepter et respecter les autres dans leurs différences : le racisme, le sexisme, l'ostracisme à l'égard des handicapés doivent être rejetés avec une extrême sévérité. 

D'après UNE JOURNÉE A L'ÉCOLE RURALE de Michel DEBRAY - 1985 - Retz

 

PETIT ALMANACH PÉDAGOGIQUE

- à adapter selon les classes - 

Novembre est le mois où l'on teste l'autorité. La discipline doit être redéfinie lors des moments de crise.

Décembre est noir. Les angoisses s'amplifient. C'est l'époque des nécessaires communions groupales. L'école doit être un havre de chaleur et de sécurité. On peut alors répondre aux questions métaphysiques qu'on aura éventuellement suscitées.
Le Père Noël, Dieu, le soleil mourant. La vie et la mort. Astronomie et géographie générale. Mythes immémoriaux. Dans une manière d'hibernation laborieuse, l'École doit nourrir l'imaginaire collectif.

L'épiphanie permet de re-situer les pouvoirs et prérogatives de chacun. Si la classe offre spontanément la couronne au maître, c'est qu'il est sur la bonne voie. Il le faut pas manquer de s'inspirer de Saint-Louis plutôt que du sévère Charlemagne...

Février donne l'occasion, avec le carnaval, de procéder aux grands rangements, aux modifications de l'espace et du temps de l'école. Brûler, classer, dépoussiérer, restaurer... Voici l'ère précieuse où le travail peut être épuré, monacal, dégraissé de toute redondance. Si tout est en ordre, si les cailloux du jardin sont à leur place, l'intelligence peut acquérir l'acuité absolue de la flèche de l'archer Zen.

Les premières montées de sève agitent les jeunes corps. Il est des efforts qu'on fait avec une exaltation printanière et qui vous laissent tremblants et fiévreux, l'épiderme couvert d'une mauvaise sudation.

'II faut attendre Avril et Mai pour que les corps et les cœurs s'exaltent vraiment. De vraies belles re-créations peuvent se prolonger dans le soleil.

Nous sommes tous fils de notre proche étoile. Le bien qu'il nous dispense vaut toutes les vaines paroles. Il faut en jouir. Si les extérieurs de l'école sont aménagés : bancs, jeux, agrès, pelouses, mini-bois, plans d'eau, etc... Il devient simple de profiter des aléas météorologiques. Des enfants craignent la chaleur et sont en meilleure connivence avec l'ombre douce d'un livre. La bibliothèque doit être ouverte, sous la responsabilité d'un adulte ou d'un enfant.

Dernier creuset communautaire -la famille étant trop réduite et souvent pulvérisée l'école peut offrir avant la fin de l'année scolaire l'occasion de rituels initiatiques indispensables au passage d'un âge à un autre. Les examens, les fêtes, les petites épreuves, les couronnements divers peuvent aller dans ce sens. Le chemin vers la connaissance doit être ponctué de balises, marqué' de signes, traversé de symboles.
Ne pas hésiter à inventer des rites qui donneront à l'école, son liant, son image, son crédit. 

D'après UNE JOURNÉE A L'ÉCOLE RURALE de Michel DEBRAY - 1985 - Retz

 

 

Un autre maître a tenu le registre des corrections infligées par lui en cinquante et un ans de service, d'où il ressort :

911 517 coups de bâtons - 24 010 volées de verges - 20 989 coups de règle sur les doigts - 136 715 coups sur la main, - 1 840 soufflets - 1 115 800 chiquenaudes et croquignoles - 12 763 coups de la Bible.

En outre, 777 garçons eurent à s'agenouiller sur des pois secs, 613 sur un bûché, et 5 001 avaient été coiffés d'oreilles d'âne.



Extrait du DICTIONNAIRE D'HISTOIRE DE L'ENSEIGNEMENT de Dimitri DEMNARD - Éditions Jean-Pierre DELARGE - 1983



NOTE: Les verges étaient composées d'un faisceau de longues tiges flexibles de coudrier, d'osier ou de bouleau. Un manuel d'Instruction pour les maîtres des écoles chrétiennes de 1712 précise :

"La verge est nécessaire... Mais il ne faut jamais donner de soufflets, jamais de coups de pieds, ni de poing, jamais de férule à la tête ni dans l'estomac..." . Allons bon...

Les chiquenaudes et les croquignoles étaient plus bénignes : il s'agissait de tapes données sur l'oreille avec un doigt retenu contre le pouce et brusquement détendu.