POUR L'ÉCOLE

100 PRINCIPES POUR L'ÉCOLE - Plan

GENÈSE D'UN LIVRE - Ré-écriture d'un entretien avec Edgar Morin - LE CANTIQUE DES CANDIDES  - 

PRINCIPES ISSUS DE LA THERMODYNAMIQUE PRINCIPES ISSUS DE LA BIOLOGIE - PRINCIPES ISSUS DE LA SYSTÉMIQUE

PRINCIPES ISSUS DE LA NEUROBIOLOGIE - NÉCESSAIRE ÉMERGENCE DE NOUVELLES VALEURS PRINCIPES PÉDAGOGIQUES

PRINCIPES ISSUS DES CONSULTATIONS NATIONALES - DE L'AMOUR

 

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PRINCIPES PÉDAGOGIQUES

 

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LES INVARIANTS PÉDAGOGIQUES par Célestin FREINET - Bibliothèque de l'École Moderne.



Célestin FREINET est mort en 1966. Les trente préceptes invariants mis au point vers 1960 constituaient une sorte d'auto-évaluation de la foi pédagogique du maître pratiquant, avec ses élèves, une pédagogie active. Héritier direct des hussards noirs, FREINET ne défend pas la République bourgeoise. Son affaire à lui, c'est la République sociale.

Militant déclaré d'une pédagogie populaire, éducateur prolétarien autoproclamé, FREINET établissait toujours un rapport entre la relation enseignant-enseigné et les relations hiérarchiques, celles de la dominance économique et sociale ou celles encore liées à une religion de la soumission. Il pensait qu'une éducation faite d'obéissance, de passivité, d'écoute simplement docile ne pouvait conduire à une société vraiment démocratique. Ille dit très clairement dans l'invariant 57. La démocratie est le fait d'hommes et de femmes libres, autonomes, responsables. À cet égard, il ne peut y avoir solution de continuité entre le tout-petit et l'individu adulte.

FREINET est l'homme d'une foi laïque. Son message a donc des allures de catéchisme. Sur ses invariants, pas question de déroger, d'ergoter. Publiés dans la Bibliothèque de l'École Moderne, ils ont l'apparence d'un petit bréviaire ou, peu avant la lettre, d'un petit livre rouge..

Les invariants étaient accompagnés de la recommandation suivante : face à chaque précepte, dessiner trois petits cercles superposés figurant les feux des carrefours routiers.
Lorsqu'on n'est pas convaincu (en son for intérieur ET dans sa pratique pédagogique quotidienne) de la réalité du précepte, colorier le cercle supérieur en rouge. Quand la conviction est encore mal assurée, user de l'orange. Enfin, quand on pense et agit selon le précepte proposé, passer au vert. Un tableau récapitulatif permettait à l'enseignant d'avoir une vision globale de sa pédagogie.
Le rouge stigmatisait la scolastique frileuse que FREINET condamnait sans appel. Le vert marquait l'entrée triomphale dans la pédagogie populaire et l'École Moderne.

Les invariants sont historiquement datés. Cependant, ils constituent un cadre commode de réflexion dans la mesure où leur actualisation permet d'évaluer les mutations survenues en quarante ans. 

31 -L'ENFANT EST DE MÊME NATURE QUE L'ADULTE.
Le bébé est une personne.
L'enfant est le père de l'homme (FREUD).


La première affirmation (de FREINET) peut sembler une évidence.

Quand j 'étais petit, en Picardie, dans les années 50, si je disais que j'avais mal aux reins (entendons-nous : dans la région lombaire et la douleur était toujours musculaire), mon grand-père maternel, ouvrier aux chemins de fer à la retraite, qui devait approcher les soixante ans, me disait invariablement :

- Ce n'est pas possible. Les enfants n'ont pas de reins !

Diafoirus n'était pas loin...

A cette époque de mon enfance, les nouveaux-nés étaient réputés aveugles et quasiment sourds. On sait aujourd'hui que le fœtus suce son pouce, qu'il rêve vraisemblablement, qu'il repère la voix de sa mère autres sons amniotiques. On soupçonne de plus en plus ce que la vie embryonnaire peut déterminer sur la vie future. Un enfant né depuis cinq minutes ne donne pas du tout l'illusion de ne rien voir. Au contraire, il semble faire preuve d'une extrême curiosité !

Aujourd'hui, téléspectateur à dix-huit mois, consommateur à trois ans ; ici, décideur à cinq ; là-bas tireur embusqué à six ; ailleurs, chef de bande à dix, l'enfant est bien (pour le meilleur et pour le pire !) de la même pâte que l'adulte...

Pourtant, le concept d'enfance, au sens où nous l'entendons aujourd'hui, est relativement récent, comme l'a montré l'historien Philippe ARIÈS. Et Victor HUGO fait figure de précurseur lorsqu'il promeut dans le roman français de véritables figures enfantines devenues emblématiques comme Cosette et Gavroche.

Alors, qu'est-ce qu'un enfant?

Un enfant est un être qui croît. Physiquement d'abord. L'adulte est un être achevé du point de vue de la croissance. On peut reconnaître chez l'enfant des comportements spécifiques, des manières enfantines.
Ce qui distingue plus particulièrement la conduite de l'enfant, c'est le jeu. Le jeu consiste à découvrir l'environnement proche puis à imiter les adultes. Alors que le jeu de l'adulte est un délassement, le jeu enfant est une activité qui l'absorbe et le construit. Cette évidence n'empêche pas FREINET d'affirmer dans l'invariant 40 : Ce n'est pas le jeu qui est naturel à l'enfant, c'est le travail. Nous y reviendrons...

L'enfant est égocentrique, mais certains adultes ne le sont-ils pas aussi, montrant ainsi un certain infantilisme, une certaine immaturité?

L'enfant est une force qui progresse, un élan vers le futur.

"L'enfant, a dit CLAPARÈDE, est candidat à la vie adulte". La formule est belle et mérite qu'on la retienne.

Un enfant est un être ouvert et plastique.

Un peu d'introspection, une fois n'est pas coutume. Les souvenirs d'enfance, même les plus heureux, ne sont pas dépourvus d'une certaine mélancolie. Combien de jeunes garçons, graves, conscients de la beauté des femmes, ont souffert de n'être à leurs yeux, précisément, que des enfants ! La littérature et les expériences personnelles regorgent de ces situations où il semble qu'un esprit lucide soit emprisonné dans corps trop petit, inachevé. Du plus loin que je me souvienne, alors que les photos (l'apparence physique) me donnent à voir de moi-même un être littéralement méconnaissable, intérieurement, je sais que je suis toujours le même. Je pense n'avoir pas changé. Il n'y a pas eu de vraies métamorphoses, seulement changements d'apparence et de statut social. Le moi semble inaltéré, pérenne, presque granitique. Illusion dans la reconstruction d'une enfance ou réalité indubitable ?

Économiquement, dans nos contrées, l'enfant est dépendant. Psychologiquement aussi. Mais, devenu adulte l 'homme porte durant toute sa vie le poids ou la légèreté de ses parents. Des événements récents ont montré que des enfants avaient décidé de divorcer de leur famille... Nous allons donc vraisemblablement vers une croissante autonomie juridique de l'enfant dans les sociétés de droit et de relative abondance.

Une fois admise la légitimité de l'acte éducatif, une fois intégré le droit à l'éducation, la relation éducative doit s'appuyer sur un contrat entre un enfant qui est théoriquement une personne à part entière et un enseignant qui est théoriquement chargé d'une fonction éducative (par l'État ou par un groupe quelconque). L'enfant n'est plus seul, comme au temps des précepteurs familiaux. L'enseignant fait souvent partie d'une équipe. Interviennent donc les notions relatives à la dynamique des groupes.

Ni les enfants, ni les adultes ne sont exempts de sensations, perceptions, émotions, sentiments, affects, modèles.... qui parasitent une relation éducative idéale : celle qu'on découvre justement dans les Instructions officielles et manuels de pédagogie.

Le contrat ne peut donc être univoque (pas davantage équivoque). Il doit tenir compte, au jour le jour, de la complexité des relations multiples qui entrent enjeu dans ce qu'on nomme globalement l'acte éducatif.

Une première tentation est de réduire l'enfant et l'enseignant à des formules simples, donc simplistes et réductionnistes. En évacuant l'éducation (former le caractère, produire des citoyens, forger une morale) pour s'en tenir à une simple instruction (transmettre des savoirs, savoir-faire et, au mieux, apprendre à apprendre), on risque de passer à côté de l'essentiel : une société doit s'éduquer.

Cela signifie ne pas transmettre seulement des connaissances mais véhiculer une Histoire, des mythes fondateurs, une image et un imaginaire, une éthique, un contrat social.

Une seconde tentation est d'oublier les savoirs pour se perdre dans l'affectif et faire de la relation pédagogique ce qu'elle n'a pas à devenir: une histoire d'amour. Car cette expression doit être rigoureusement réservée à la sphère privée des individus. Or l'éducation est une affaire sociale. Mieux, c'est une chose politique.

Les enfants et le maître doivent savoir ce pourquoi ils sont ensemble. La Société a inscrit l'éducation dans sa table des Lois. Les uns et les autres ont une partie à jouer. Les rôles doivent être définis. Les enfants sont parfaitement capables d'entendre cela.

Nous voici dans le cadre de ce qu'on a nommé la pédagogie institutionnelle. Nous voici dans ce qui a été souvent dénaturé par des comportements marginaux : la classe coopérative.

Le groupe, la classe, l'école ont besoin d'institutions non figées, plastiques, construites et reconstruites selon les nécessités, sur des bases cependant intangibles, ayant force de Loi.

32 - ÊTRE PLUS GRAND NE SIGNIFIE PAS FORCÉMENT ÊTRE AU-DESSUS DES AUTRES.

Ce précepte, écrit pour des maîtres du primaire et à une époque où l'on était plutôt petit, est à méditer aujourd'hui, dans certains établissements du secondaire où des élèves dépassent souvent d'une tête leur professeur(e)...

33 -LE COMPORTEMENT SCOLAIRE D'UN ENFANT EST FONCTION DE SON ÉTAT PHYSIOLOGIQUE, ORGANIQUE ET CONSTITUTIONNEL.

Quand FREINET écrivait ces lignes, les enfants de la classe ouvrière étaient souvent rachitiques et quelquefois sous-alimentés. Sa vision de l'enfance est celle des hygiénistes du XIXième siècle.
Aujourd'hui, certains enfants sont sur-alimentés et subissent une diététique aberrante : sodas, fruits secs, chips, sucreries, mélanges apéritifs ou télévisuels... Ils reçoivent des doses de vitamine (acide ascorbique, vitamine C notamment) qui eussent conduit les armées d'antan à des victoires faciles.

Aujourd'hui, les plus grandes carences sont affectives. Quand on parle de jeux électroniques, il faut réfléchir à la polysémie du mot console... Certains parents préfèrent voir leurs enfants en vidéo que dans la réalité...

34 - L'ENFANT, PAS PLUS QUE L'ADULTE, N'AIME ÊTRE COMMANDé D'AUTORITÉ.

Réflexion de rebelle, d'anti-militariste. FREINET a vécu la Grande Guerre. Gazé, il avait des difficultés à parler du haut d'une chaire. S'il fait disparaître l'estrade, la leçon magistrale, c'est autant par conviction philosophique que par nécessité personnelle. Il essaie de devenir inspecteur primaire, mais son caractère et ses positions politiques lui ferment cette voie. En définitive, FREINET se marginalisera et deviendra le leader charismatique de tout un mouvement pédagogique.

L'autorité, c'est celle de la Loi. La Loi est paternelle. Elle est en principe édictée par l'adulte qui en détient l'autorité. Mais la Loi s'applique à tous. Et la Loi doit être expliquée, quelque fois justifiée. La lettre et l'esprit de la Loi doivent être explicités et commentés.

35 - (Qui découle du précédent). NUL N'AIME S'ALIGNER, PARCE QUE S'ALIGNER, C'EST OBÉIR PASSIVEMENT A UN ORDRE EXTÉRIEUR.

Il n'est point besoin d'un cerveau pour marcher au pas, une moelle épinière suffit (EINSTEIN).

Il vaut mieux avancer dans le désordre que piétiner dans l'ordre.

EINSTEIN - mais fut-il l'auteur du second aphorisme? - ne semblait pas très pointu en biologie. Marcher au pas exige une très grande coordination neuromusculaire. Le trait est une métaphore anti-militariste, bien entendu. Bien des parents d'enfants lourdement handicapés seraient follement heureux de voir leurs fils marcher au pas...

Il n'est pas mauvais de demander à des enfants de se mettre en rangs par 2 ou par 3. Surtout lorsqu'ils sont petits. Exiger d'enfants de dix ans qu'ils marchent ou courent en conservant leur distance, en respectant un rythme, en faisant preuve de régularité cyclique sont des consignes difficiles à mettre en oeuvre. Mais ces exercices préparent utilement à d'autres activités sportives ou chorégraphiques. Savoir étalonner son propre pas fait partie des éléments d'une bonne orientation topologique ou chorégraphique.

En outre, tactiquement, et au sens figuré, il convient parfois de savoir s'aligner, rentrer dans le rang ou prendre ses distances...

On comprend que FREINET s'oppose à un certain caporalisme qui sévit encore de nos jours. Des enfants entraient au pas cadencé dans leur classe et continuaient à marquer le pas, à leurs places, jusqu'à ce que le maître leur demande de s'asseoir, tous, d'un même mouvement. L'École française est aussi héritière de BONAPARTE...

Il y a un abîme entre cet encasernement d'hier et les cavalcades hurlantes dans les couloirs à l'acoustique douteuse de certains écoliers d'aujourd'hui.

Le nombre est générateur de bruit, de désordre, d'accidents. La vie en communauté exige des règles. Ces règles doivent être élaborées par tous. Les règlements intérieurs qui tombent d'un ciel académique sont vains. Ils doivent faire l'objet d'un travail civique d'élaboration entre partenaires de l'acte éducatif. Or, s'ils sont ratifiés (obligatoirement) par le Conseil d'école, ils ne sont que rarement discutés avec les enfants.

36 - NUL N'AIME SE VOIR CONTRAINT À FAIRE UN CERTAIN TRAVAIL, MÊME SI CE TRAVAIL NE LUI DÉPLAÎT PAS PARTICULIÈREMENT. C'EST LA CONTRAINTE QUI EST PARALYSANTE.

37 - CHACUN AIME CHOISIR SON TRAVAIL, MÊME SI CE CHOIX N'EST PAS AVANTAGEUX.

38 - NUL N'AIME TOURNER À VIDE, AGIR EN ROBOT, C'EST-À-DIRE FAIRE DES ACTES, SE PLIER À DES PENSÉES QUI SONT INSCRITES DANS DES MÉCANIQUES AUXQUELLES IL NE PARTICIPE PAS.

39 - (Qui tire les conclusions des précédents). IL NOUS FAUT MOTIVER LE TRAVAIL.

Nuançons, éclairons le propos de FREINET qui se réfère bien évidemment à l'organisation coopérative de la classe et de l'école.

Faisons-nous l'avocat du diable en invoquant des motivations qui ne doivent guère au bon sentiment ni à la belle âme altruiste.

- Je choisis de m'avancer dans le fichier de calcul parce que mon père m'a reproché de ne pas savoir faire de divisions à 2 chiffres. Quand ils se mettent à parler de mes résultats scolaires, mes parents s'engueulent...

- En acceptant de balayer la classe après 17 heures, je reste avec ma copine qui s'occupe du lavage des pinceaux...

- Celui qui tient le cahier de textes peut essayer de rouler le maître. Ou d'aiguiller tel élève absent sur des exercices qu 'on n 'a pas encore vus.,.

- On me donnerait le bon dieu sans confession. Je suis le trésorier de la coopérative. J'ai de gros besoin car je suis racketté à la sortie...

- Je déteste le sport. Je suis responsable de la bibliothèque. Pendant la récréation en principe. Assez souvent, je déborde, parce qu 'il y a beaucoup de rangement à faire : les "petits" ont mis le bordel. Comme par hasard, juste avant les séances d'éducation physique...

Robot, ouvrier... Travail, torture... Quant à l'école, elle désignait d'abord chez les Grecs anciens ce temps de pause que nous appellerions aujourd'hui récréation...

40 - PLUS DE SCOLASTIQUE !

Tout individu veut réussir. L'échec est inhibiteur, destructeur de l'allant et de l'enthousiasme.

Ce n'est pas le jeu qui est naturel à l'enfant, c'est le travail. LE JEU EST LE TRAVAIL DE L'ENFANT.

Pour FREINET, il existe un élan vital naturel vers la croissance, le développement de l'intelligence, la complexité.

Tout ce qui contrarie cet élan, cet allant est nuisible. Le comportement scolaire traditionnel inhibe, tue cet allant. C'est la scolastique. La scolastique est nuisible.

Pour FREINET, l'enfant autonome ne va pas spontanément vers le chahut, l'indiscipline, le désordre, la gourmandise, la paresse. L'enfant, comme l'homme à l'état de nature, est bon.

Défenseur, praticien et théoricien des méthodes actives d'éducation, FREINET ne peut pas, à une époque ou ALAIN (par exemple) a déjà stigmatisé les méthodes attrayantes ou récréatives, se faire le défenseur du jeu. Le jeu a une connotation gratuite, négative. Le jeu est improductif. Le jeu, c'est une manière d'oisiveté. FREINET pense à la libération de la classe ouvrière, sacralisée par le travail. On doit éduquer le peuple pour et par le travail. Le travail, pourvu qu'il soit librement consenti, est producteur de richesses.

Or nous voici à la fin du XXième siècle, au crépuscule du Second millénaire. La notion de travail a évolué. Depuis le "Travaillez, prenez de la peine, c'est le fonds qui manque le moins." au chômage endémique d'aujourd'hui, il a fallu singulièrement slalomer. Travail torture, travail exploitation, travail aliénation, travail libérateur, travail stakhanoviste, travail sanctificateur, travail traître qui mène au consumérisme, travail honni, travail moqué, travail redevenu indispensable, vital, travail alternative à une vie d'assisté, travail d'intérêt général des jeunes délinquants, travail d'utilité publique, contrat emploi solidarité, petit boulot, job, plan de carrière, partage du travail...

Comment peut-on encore avoir une vocation ?

41 - LA VOIE NORMALE DE L'ACQUISITION N'EST NULLEMENT L'OBSERVATION, L'EXPLICATION ET LA DÉMONSTRATION, PROCESSUS ESSENTIEL POUR L'ÉCOLE, MAIS LE TÂTONNEMENT EXPÉRIMENTAL, DÉMARCHE NATURELLE ET UNIVERSELLE.

"Qu 'une force mystérieuse l'ait prestigieusement déclenchée à l'insondable origine des mondes, ou qu 'elle s'insinue dans le mécanisme des faits explicables dont on pourra peut-être un jour comprendre le secret, la vie est. C 'est le seul fait incontestable. "

FREINET nous fait part ainsi au début de son ESSAI DE PSYCHOLOGIE SENSIBLE de son agnosticisme. Notons qu'il n'a pas pu connaître les développements de la Théorie du Big Bang.

"LA VIE N'EST PAS UN ÉTAT MAIS UN DEVENIR."

"L'instinct est la trace qu'ont laissée en nous, transmise à travers les générations, les tâtonnements infinis dont la réussite a permis la permanence de l'espèce. "

FREINET est évidemment marqué par DARWIN, par l'évolutionnisme. Il donne la primauté à l'instinct. L'instinct est cet élan vital qui va dans le sens du devenir de la vie.

"Les variations du milieu obligent l'individu à modifier ces traces par de nouvelles expériences. L 'adaptation qui en résulte constitue l'essence même de l'éducation."

Notons bien ceci : c'est l'adaptation-accommodation au milieu qui constitue l'éducation. Autrement dit, l'éducation est une affaire entre l'individu et son environnement. L'éducation est duelle et concerne l'enfant et la Nature. Tout tiers est perçu par FREINET comme inopportun, superflu, inutile, nocif.

La vision qu'a FREINET de la naissance et du premier âge est empreinte de naturalisme. Héritier d'un siècle où la mortalité infantile est encore lourde, FREINET conçoit que les parents entourent le nouveau-né de protection, de calme, de chaleur, de semi-obscurité. Pour FREINET, les relations entre le tout-petit et le milieu sont extrêmement réduites. Or nous savons aujourd'hui combien sont importantes et déterminantes la vie utérine, les conditions psychiques et matérielles de la naissance, les premières heures de la vie.

Certes, il ne s'agit pas de stresser le bébé, mais on ne saurait non plus l'enfermer dans un cocon. L'enfant doit rapidement connaître beaucoup d'expériences (évidemment non traumatisantes). Ainsi se connecteront plus précocement et plus durablement des réseaux de neurones qui seront utiles aux apprentissages futurs. C'est la démarche qui préside à l'élaboration de l'itinéraire de l'enfant, considéré comme un explorateur nu, décrit par Jean EPSTEIN et Chloé RADIGUET.

Pour FREINET, le tâtonnement expérimental, notamment avec ce que PIAGET nomme le geste circulaire, s'ancre dans l'inné, l'instinctif. Il concerne le jeune enfant doté d'une relative autonomie. On l'a vu, concernant la néo- et la péri-natalité, FREINET défend des positions devenues, par les progrès de la médecine infantile, très obsolètes.

"Une expérience réussie au cours du tâtonnement crée comme un appel de puissance, et tend à se reproduire mécaniquement pour se transformer en règle de vie. "

L'emploi des mots mécanique, automatique marque une pensée positiviste venue du XIXième siècle. Il y a cependant là beaucoup d'intuition que la neurobiologie viendra confirmer. FREINET montre, avant la lettre, la superposition des "trois cerveaux" : reptilien (instincts), mammiférien (apprentissages), néo-cortex(intelligence réflexive). De même, il constate que chacun essaie de renouveler les expériences gratifiantes et de fuir celles qui apportent douleur ou mal-être. On peut se battre, fuir physiquement, être paralysé par l'inhibition ou encore se réfugier dans l'imaginaire. Et nous sommes ici chez Henri LABORIT qui a, du reste, souvent travaillé avec des classes "Freinet"...

Dans le système éducatif traditionnel, l'École est le tiers-instruisant (référence au livre de Michel SERRES - LE TIERS INSTRUIT - Éditions François Bourin - 1991) qui sert de médiateur entre la nature, l'environnement, le milieu culturel et l'individu.

Pour FREINET, la part de la médiation doit donc être réduite à son strict minimum. L'emploi du verbe tâtonner implique une appréhension littéralement tactile du milieu. Il faut toucher du doigt pour comprendre. Comme Saint Thomas... L'aveugle connaît par le toucher. FREINET se méfie de l'observation. Il sait que la vision est un sens trompeur. Il préfère le toucher. L'enfant tâtonne, en aveugle, dans un monde inconnu. Puis il ne se contente plus de toucher, il agit, il manipule, il fait. Il expérimente, fait puis refait sans cesse...

L'éducateur doit aider l'enfant à expérimenter le plus possible. Il doit lui proposer judicieusement des recours-barrières. Une barrière est à la fois une marque d'interdit et une rampe sur laquelle on peut s'appuyer.

42 - LA MÉMOIRE, DONT L'ÉCOLE FAIT TANT DE CAS, N'EST VALABLE ET PRÉCIEUSE QUE LORSQU'ELLE EST INTÉGRÉE AU TÂTONNEMENT EXPÉRIMENTAL, LORSQU'ELLE EST AU SERVICE DE LA VIE.

Ici FREINET dénonce le par cœur de l'école traditionnelle.

"Un cerveau qui n a rien mémorisé ne peut pas être créatif " déclare LABORIT.

On sait, bien sûr, que la mémoire fonctionne toujours, à l'état de veille, sur le mode enregistrement. On sait aussi qu'elle est sollicitée en permanence sur le mode lecture. À cet égard, elle se confond presque avec la pensée...

On peut retenir mécaniquement, sans bien comprendre. On peut connaître par cœur des textes en prose ou en vers, mais ne pas retenir les chansons ou les histoires drôles. On peut être imbattable au Trivial poursuit mais être incapable de réciter une liste de nombre ou d'anticiper un coup au jeu de dames. On peut avoir une bonne mémoire à court terme ou une bonne mémoire à long ou moyen terme ou les deux.

Il y a des mémoires.

Et il y a une mémoire globale qui est supérieure à la somme des mémoires particulières.

Il est évident que toutes les mémoires doivent être sollicitées précocement, sollicitées, et, dans certains cas, entraînées, éduquées. Il faut parfois, en musique, en danse, dans les arts plastiques, en mathématique, faire et refaire, inlassablement afin d'acquérir la mémoire du geste, de l'équilibre, de l'harmonie. Cette maîtrise est une condition de la réussite. Mais plier et rompre le corps et l'esprit à une sorte de spécialisation s'oppose à la créativité qui suppose confrontation des disciplines.

Maintenant, sachons aussi user et abuser de nos mémoires mortes : livres, dictionnaires, guides, lexiques, atlas, biographies, supports audio-visuels, logiciels... Elles sont devenues nos prothèses. Sachons utiliser nos computeurs. Ils nous soulagent et nous font gagner du temps. Au vrai, il est sans doute difficile de saturer la mémoire humaine. Mais il ne sert à rien de l'encombrer de choses inutiles. Toutefois, n'oublions pas que celui qui ne connaît pas le nom (inutile) des anciens comptoirs français de l'Inde ne peut rien apprécier de cette délicieuse chanson de Guy BÉART :

"Elle avait, elle avait un chandernagor de race /Elle avait, elle avait un chandemagor râblé..."

Chandernagor, Pondichéry, Karikal, Yanaon et Mahé étaient en Inde les cinq comptoirs commerciaux que les Anglais avaient laissé à la France après le désastreux Traité de Paris de 1763

La création littéraire, artistique, scientifique, technique, n'a rien à faire de l'extrême spécialisation. C'est toujours aux interfaces des disciplines que se situent les rencontres les plus fécondes.

43 - LES ACQUISITIONS NE SE FONT PAS COMME ON CROIT PARFOIS, PAR L'ÉTUDE DES RÈGLES ET DES LOIS, MAIS PAR L'EXPÉRIENCE. ÉTUDIER D'ABORD CES RÈGLES ET CES LOIS, EN FRANÇAIS, EN ART, EN MATHÉMATIQUE, EN SCIENCES, C'EST PLACER LA CHARRUE AVANT LES BOEUFS.

L'expérience, l'expérimentation incorpore littéralement le savoir. Une simple manipulation peut être stérile si l'apprenant ne s'interroge pas sur la raison de ses actes. Je comprends pourquoi un contact électrique doit être propre et franc. Je ne comprendrai pas nécessairement comment fonctionne un interrupteur muni d'une minuterie. Je devrai sans doute ouvrir le mécanisme, l'étudier en fonctionnement. En dernier ressort, je ferai appel à mon professeur. De toute façon, selon mon niveau d'apprentissage, je ne puis ré-inventer et retrouver, seul, par l'accumulation d'expériences élémentaires, le cheminement technologique qui a précédé.

44 - L'INTELLIGENCE N'EST PAS, COMME L'ENSEIGNE LA SCOLASTIQUE, UNE FACULTÉ SPÉCIFIQUE FONCTIONNANT EN CIRCUIT FERMÉ, INDÉPENDAMMENT DES AUTRES ÉLÉMENTS VITAUX DE L'INDIVIDU.

FREINET perçoit ici clairement l'unicité de l'être humain. Il ne peut y avoir de dualité. Un esprit sain dans un corps sain. Nous revoici dans un continent connu.

La vie, pourtant, nous fait découvrir d'admirables intelligences dans des corps contrefaits. Un des penseurs de l'Amérique actuelle est cloué dans un fauteuil roulant. Ses thèses ne peuvent pas ne pas porter l'empreinte de son état physique.

On peut rêver d'individus sains, équilibrés, répondant aux canons d'une universelle beauté. On peut imaginer (avec effort...) que leur histoire personnelle a été exemptée de tous ces incidents et accidents qui affectent la destinée de chacun. On peut envisager qu'ils sachent équitablement doser raison et passion, rigueur et liberté d'esprit, connaissance précise et curiosité insatiable... Ces êtres existent, sans doute, comme une minorité. La plupart d'entre nous évoluons entre stupidité et éclairs de génie, entre grandeur et petitesse, entre passivité qui veut se faire passer pour rationnelle et excentricité qui veut se donner des airs affranchis.

Il y a mille intelligences. II faudrait songer à une intelligence globale de l'espèce humaine. Une entité globale, gigantesque, où se tiendraient le savoir faire du lanceur de sarbacane de l'Afrique australe et l'ingénieur en composants électroniques, le chasseur Inuit et le peintre italien, la cousette et la diva, le maçon et l'organiste, le chaman et le psychiatre...

45 - L'ÉCOLE NE CULTIVE QU'UNE FORME ABSTRAITE D'INTELLIGENCE, QUI AGIT, HORS DE LA RÉALITÉ VIVANTE, PAR LE TRUCHEMENT DE MOTS ET D'IDÉES FIXÉES PAR LA MÉMOIRE.

Idéalement, l'École a toujours souhaité équilibrer intelligence et équilibre physique, sensibilité et réflexion, logique et imagination. Cependant, vingt-cinq ou trente enfants (voire davantage), enfermés six heures durant avec un adulte, dans un parallélépipède de 192 m peuvent difficilement faire mieux que de reproduire le vieux schéma scolastique de l'auditorium-scriptorium où le magister dispense son savoir sous la forme de leçons et de cours indiscutables.

Le procédé n'a pas que des inconvénients. Il faut parfois y avoir recours. Notons que là où se font les apprentissages premiers : la maternelle, ce lieu où la maîtresse s'adresse à ses élèves, ex-cathedra, est limité dans l'espace (et le temps..,) de la classe. Notons l'importance de la salle de motricité et des ateliers nombreux que se partagent les enfants de toute l'école.

J'ai défendu, ailleurs, la maternalisation du système éducatif, jusqu'à la Troisième. Mes arguments étaient les suivants. La Maternelle, globalement, fonctionne bien et donne des résultats très satisfaisants eu égard à ses objectifs (scolariser, socialiser, faire apprendre et exercer). Contrairement à ce qu'on croit généralement, l'être le plus fragile (mais aussi le plus maladroit à exprimer cette fragilité) n'est pas le tout-petit mais l'adolescent. L'adolescence connaît des drames : accidents, méfaits de la drogue, difficultés sentimentales et amoureuses, problèmes relationnels, tendances au suicides.. La tendance est plutôt à faire des niveaux de base de l'enseignement de petites universités. Et l'École maternelle française n'est pas à l'abri de cette perversion....

46 - L'ENFANT N'AIME PAS ÉCOUTER UNE LEÇON EX-CATHEDRA.

FREINET défend ce qu'il nomme la leçon a posteriori, la leçon nécessaire qui répond aux questions posées par les enfants, à la suite de longues séquences d'activités (expérimentation, enquête, lecture, choix et classement des documents, etc.)

47 - L'ENFANT NE SE FATIGUE PAS À FAIRE UN TRAVAIL QUI EST DANS LA LIGNE DE SA VIE, QUI LUI EST POUR AINSI DIRE FONCTIONNEL.

Les récréations sont nécessaires pour faire tomber la pression dans une classe où une pédagogie essentiellement magistrale empêche les enfants d'agir. Lorsque les enfants sont occupés à des activités qu'ils ont choisies, ils peuvent travailler sans interruption et s'étonnent que le temps ait passé vite.  

"Or, les idées c'est dans les mains que ça prend corps et forme. Et les idées prennent la douceur ou la brutalité des mains." 

 Romain GARY

48 - LES NOTES ET LES CLASSEMENTS SONT TOUJOURS UNE ERREUR.

Les méfaits de l'évaluation normative sont connus depuis longtemps. La docimologie est pleine d'enseignements. Les expériences les plus extravagantes y ont fleuri, prouvant la formidable injustice de la plupart des méthodes d'évaluation.

Les dernières années ont vu l'arrivée en force de la volonté évaluatrice de toutes les autorités de notre pays. L'évaluation formative (terme dû à CROMBACH & SCRIVEN) doit être réalisée tout au long du cycle éducatif. Elle intervient après chaque tâche et surtout lorsque se manifeste une difficulté. Les résultats de l'évaluation doivent conduire aune remédiation par des actions de soutien. En principe, la progression est établie en fonction des acquisitions préalables.  

Voir PETIT RETZ DE LA PÉDAGOGIE MODERNE - M. ROSSINI - Retz - 1986

FREINET pose justement la question des différentes fonctions de l'intelligence, de la création, de l'invention, du sens artistique. Il remarque que la demande du l'Institution, des parents et de certains enfants est telle que l'on n'échappe pas à une évaluation normative jusqu'à la caricature. Afin de ne point tomber dans le ridicule, on évite d'abord l'évaluation de ce qui n'est pas immédiatement chiffrable. Et, partant, on néglige les matières d'éveil qui se prêtent peu à l'évaluation, notamment celles qui ont un rapport avec les arts. FREINET propose une évaluation réalisée à la fois par l'individu et le groupe, dans un contexte de coopération. On sait qu'il a proposé des systèmes de brevets. Chaque enfant se fixe un objectif, avec le maître, un calendrier, et tente de se dépasser. Il peut s'agir de réaliser une peinture qui entraînera l'adhésion de la classe, de savoir boucler ses lacets, de plonger du bord de la piscine, d'apprendre par cœur trois fables de LA FONTAINE, comme de résoudre un problème d'arithmétique...

49 - PERSONNE, N! ENFANT NI ADULTE, N'AIME LE CONTRÔLE ET LA SANCTION QUI SONT TOUJOURS CONSIDÉRÉS COMME UNE ATTEINTE À SA DIGNITÉ, SURTOUT LORSQU'ILS S'EXERCENT EN PUBLIC.

50 - PARLER LE MOINS POSSIBLE.

Si l'enfant travaille, agit, réfléchit, découvre et que le maître observe ce qui se passe dans sa classe, s'il est à l'écoute de ses élèves, s'il interroge l'un, répond à l'autre, prépare avec un troisième le protocole d'une tâche précise, le maître n'est plus ce répétiteur insupportable.

Plus on parle, moins on agit.

51 - L'ENFANT N'AIME PAS LE TRAVAIL DE TROUPEAU AUQUEL L'INDIVIDU DOIT SE PLIER COMME UN ROBOT. IL AIME LE TRAVAIL INDIVIDUEL OU LE TRAVAIL D'ÉQUIPE AU SEIN D'UNE COMMUNAUTÉ COOPÉRATIVE.

"La notion de travail d'équipe et de travail coopératif doit être elle-même reconsidérée. Travailler en équipe ou en coopérative ne signifie pas forcément que chaque membre fait le même travail. L 'individu doit au contraire garder au maximum sa personnalité mais au service d'une communauté.

Cette forme nouvelle de travail est, pédagogiquement et humainement parlant, de la plus haute importance." Célestin FREINET.

52 - L'ORDRE ET LA DISCIPLINE SONT NÉCESSAIRES EN CLASSE.

"Il ne saurait s'agir là de cet ordre formel qui se traduit, tant que le maître surveille, par du silence et des bras croisés. Nous avons besoin d'un ordre profond, inséré dans le comportement et le travail des élèves ; d'une véritable technique de vie motivée, et voulue par les usagers eux-mêmes.

Ce ne sont pas là des mots, mais des réalités possibles dans toutes les classes qui s'orienteront vers le travail nouveau. L'ordre et la discipline de l'École Moderne, c 'est l'organisation du travail.

Pratiquez les techniques modernes pour du travail vivant, les enfants se disciplineront eux-mêmes parce qu 'ils veulent travailler et progresser selon des règles qui leur sont propres.

Vous aurez alors dans vos classes l'ordre véritable. " Célestin FREINET.

53 - LES PUNITIONS SONT TOUJOURS UNE ERREUR. ELLES SONT HUMILIANTES POUR TOUS ET N'ABOUTISSENT JAMAIS AU BUT RE­CHERCHÉ. ELLES SONT TOUT AU PLUS UN PIS-ALLER.

En France, au début des années 80, il était établi que 40 000 enfants subissaient, par an, dans leur famille, des sévices corporels. Certains enfants ne connaissent pas d'autres relations avec l'autorité que les cris et les coups, les privations et les punitions. Souvent, ces punitions sont sans commune mesure avec la faute commise. Parfois même, des vétilles sont sévèrement réprimées alors que des actes très délictueux reçoivent le pardon ou même l'encouragement. Dans ces conditions, il convient de re-conditionner le sens moral de certains enfants socialement et familialement très perturbés.

En classe, il vaut mieux avoir recours à un système coopératif de régulation des conflits. Autour d'un symbolique arbre à palabres, pendant le temps réservé au conseil de coopérative, sous la direction d'un président de séance élu par la totalité de la classe, la justice peut être rendue à chacun.

Évidemment, ces autorités se sont rarement auto-évaluées.

54 - LA VIE NOUVELLE DE L'ÉCOLE SUPPOSE UNE COOPÉRATION SCOLAIRE, C'EST-À-DIRE LA GESTION PAR LES USAGERS, L'ÉDUCATEUR COMPRIS, DE LA VIE ET DU TRAVAIL.

Dans le cadre d'une micro-société, l'autogestion et la co-gestion deviennent relativement faciles. Les conditions du point de vue de l'expérimentation sociale sont privilégiées parce que économiquement austères : on n'entre pas dans l'éducation si on veut faire de l'argent ! Ce métier suppose une certaine dose d'idéalisme... L'intérêt individuel se confond facilement avec l'intérêt de tous. C'est pourquoi , outre la malléabilité des enfants, il est si facile de réaliser, dans une classe, ou une petite école, un petit champ d'expériences micro-politiques.

Pendant deux ans, j'ai travaillé dans une classe de C.M. où nous avions introduit une monnaie intérieure. Pour qui veut comprendre ce qu'est une masse monétaire, une parité avec une monnaie référentielle (le Franc de l'extérieur en l'occurrence : notre unité valait un centime), l'inflation, la récession, le taux d'intérêt, les transferts d'un compte à un autre puisque nous avions créé des comptes-chèques sur ordinateur, mais aussi l'usure, la corruption et évidemment le vol, ce type d'expérience est très instructif. Le travail était rétribué, les mauvaises actions étaient sanctionnées par des amendes selon un code assez proche du code des Francs du Haut-Moyen-Âge.

Je crois n'avoir jamais mieux compris, en modèle réduit, les effets pervers du capitalisme et ceux aussi du communisme puisque notre système reposait au départ sur une forme de collectivisme (avec marché hebdomadaire où il était possible de négocier des objets - petits outils d'écoliers, achetés à l'extérieur, en francs, sur le compte de la Coopérative - en monnaie interne). Le maniement de l'argent me permettait de découvrir des talents cachés. L'une était capable d'amasser en peu de temps la moitié de l'argent en circulation, prêtant avec intérêt, jouant de son influence, distribuant des commissions, se faisant élire comme présidente de coopérative grâce à un savant dosage de cadeaux et de menaces. L'autre, toujours à sec, endetté jusqu'au cou, devait accumuler les tâches domestiques pour parvenir à amasser un maigre pécule. Celui-ci proposait à chaque conseil de coopé la suppression de la monnaie intérieure, l'arrêt de l'expérience et le retour à la simple et juste autorité du maître. Je dois dire que j'ai dû, dans ce micro-monde où régnaient les passions et les calculs, rétablir de manière régalienne, une justice, une équité, une morale que nos billets dérisoires, imprimés sur un vieux duplicateur, avait singulièrement malmenée...

55 - LA SURCHARGE DES CLASSES EST TOUJOURS UNE ERREUR PÉDAGOGIQUE.

Cela ne fait pas de doute. Bien entendu, pour qu'il y ait dynamique de groupe, il faut qu'il y ait groupe. Les instituteurs qui ont travaillé avec trois enfants, en classe unique de montagne, savent que cela est fort ennuyeux. Les grands rassemblements ne sont pas un handicap si les infrastructures matérielles et les superstructures culturelles répondent aux exigences du nombre. Dans ce cas, le travail d'organisation est toujours très important car les grands effectifs multiplient les problèmes et les nuisances.

Il faudrait désormais parler en terme de cycles et d'équipes, c'est vrai. Et remplacer les classes par de véritables ateliers pédagogiques.

56 - LA CONCEPTION ACTUELLE DES GRANDS ENSEMBLES SCOLAI­RES ABOUTIT À L'ANONYMAT DES MAÎTRES ET DES ÉLÈVES ; ELLE EST, DE CE FAIT, TOUJOURS UNE ERREUR ET UNE ENTRAVE.

57 - ON PRÉPARE LA DÉMOCRATIE DE DEMAIN PAR LA DÉMOCRATIE À L'ÉCOLE. UN RÉGIME AUTORITAIRE À L'ÉCOLE NE SAURAIT ÊTRE FORMATEUR DE CITOYENS DÉMOCRATES.

À certains égards, les États totalitaires ont créé des systèmes éducatifs fort efficients. Le sens de la solidarité se fortifie autour du Chef, du Parti, de la Patrie. Il a besoin, pour s'épanouir de s'appuyer sur la haine de l'étranger, de l'ennemi, de l'opposition. Mais si l'on peut obtenir des résultats spectaculaires dans certains domaines, cela se paie par un manque total d'autonomie et de liberté pour des élèves endoctrinés.

Les écoles élitistes, obtiennent, à l'inverse, des résultats grâce à un luxe pédagogique inouï, de très faibles effectifs et des professeurs de grande qualité. Elles développent un individualisme aigu, une solidarité étroite de caste ou de promotion et un mépris souverain pour le bien public. De nombreux délinquants politiques (prévarication, trafic d'influence, abus de biens sociaux, corruption active et passive) sont de brillants anciens élèves de ce genre d'établissement.

La démocratie c'est le difficile équilibre du respect de la liberté d'autrui, de l'exercice de sa propre liberté, de la plus grande équité sociale, économique et juridique, enfin de l'amour universel exprimé dans le mot fraternité. Une éducation à la démocratie est une éducation de la démocratie, vécue au jour le jour, non dans l'exemplarité artificielle de quelques modèles idéaux, mais dans la confrontation concrète. Cette éducation passe par une indispensable et rigoureuse laïcité.

58 - ON NE PEUT ÉDUQUER QUE DANS LA DIGNITÉ. RESPECTER LES ENFANTS, CEUX-CI DEVANT RESPECTER LEUR MAÎTRE EST UNE DES PREMIÈRES CONDITIONS DE LA RÉNOVATION DE L'ÉCOLE.

59 - L'OPPOSITION DE LA RÉACTION PÉDAGOGIQUE, ÉLÉMENT DE LA RÉACTION POLITIQUE ET SOCIALE EST AUSSI UN INVARIANT AVEC LEQUEL NOUS AURONS, HÉLAS ! À COMPTER SANS QUE NOUS PUISSIONS NOUS-MÊMES L'ÉVITER OU LE CORRIGER.

D n'y a sans doute pas d'exception au fait que lorsqu'on s'engage dans une pédagogie rénovée, proche des enfants, lorsque les enfants sont heureux de venir à l'école, quand l'école devient un lieu de vie, dont on parle, quand les parents s'enflamment pour ou contre des pratiques pédagogiques révolutionnaires (expression libre, emploi du temps faisant leur vraie place à des disciplines délaissées ailleurs, organisation coopérative de la vie scolaire, etc.) on finit par rencontrer l'hostilité de certains parents, des certains élus, de l'administration qui déteste généralement les remous...

FREINET est exemplaire. Il a connu toutes les avanies que peut subir un véritable éducateur prolétarien. Attention il n'était pas un saint homme, mais un être passionné, enthousiaste et pragmatique. Il n'avait pas toujours le temps ni l'envie de vérifier ses intuitions. Son ESSAI DE PSYCHOLOGIE SENSIBLE n'est pas un modèle de grand livre scientifique. C'est l'œuvre d'un praticien qui brûlait de mettre en pratique, très vite, ses idées et le fruit de ses réflexions. Ce qui caractérise la pensée de FREINET c'est l'immédiateté de la conséquence pratique qui succède à l'idée, à la découverte, à la conclusion. Les épigones de FREINET seront beaucoup plus bavards et beaucoup moins concrets.

Cependant, l'histoire des mouvements pédagogiques est pleine d'affaires mettant en cause, souvent pour de mauvaises raisons, des éducateurs dont le seul tort était de trop croire à leur mission. On pourrait citer des centaines de cas où des instituteurs et des professeurs ont connu la calomnie, la haine, ont dû quitter des lieux où ils s'étaient pourtant dévoués totalement.

En vérité, il faut demeurer dans le cadre purement fonctionnel de la profession et ne pas y jeter son âme. Ceux qui ont commis l'imprudence de s'investir à fond dans l'aventure pédagogique y ont laissé leur vie privée ou leur santé.

C'est en train de changer. Les enseignants ont, à leurs dépens, appris et retenu la leçon. Beaucoup d'entre eux viennent à l'école faire les heures de travail pour lesquelles ils sont rétribués. Après quoi, ils rentrent chez eux. Plus ou moins loin. Parfois dans une autre commune. Ils ont déserté les souvent lamentables logements de fonctions. Ils ont fait en sorte que le maire dont ils sont les administrés ne soit pas le même que celui de la ville où ils travaillent. Ils essaient de mettre entre leur vie professionnelle et leur vraie vie une distance réelle. Le directeur n 'est plus le gardien de la maison d'école.

Les instituteurs sont devenus ce qu'on leur a demandé de devenir, avec ce rien de condescendance qu'un directeur d'I.U.F.M. peut avoir envers un instituteur brillant qui sort d'une sévère dépression nerveuse: des fonctionnaires. Avec des fonctionnaires, plus de pathos, mais de classiques revendications salariales ou statutaires. Avec des fonctionnaires, plus de militants, mais des exécutants plus ou moins dociles, et qui n'en pensent pas moins. Les enseignants sont de plus en plus favorables à la semaine de quatre jours qui leur permet de vivre une vraie vie schizophrénique. Comme beaucoup de gens...

Nous vivons ainsi une époque difficile parce que les convictions intimes, les sentiments profonds des individus privés sont différents de leurs comportements sociaux.

Allons, encore un effort, et dans quelques temps, les enseignants, entre eux, ne vaticineront plus à perte de vue sur leur métier. Us feront comme tout le monde et parleront mode, automobile ou gastronomie...

60 - IL Y A UN INVARIANT AUSSI QUI JUSTIFIE TOUS NOS TÂTONNE­MENTS ET AUTHENTIFIE 61 - UNITÉ DE LA SCIENCE ET PLURALITÉ DES CULTURES. Voir ANTHROPO-PÉDAGOGIE (Edgar MORIN).

Un enseignement harmonieux doit pouvoir concilier l'universalisme inhérent à la pensée scientifique et le relativisme qu'enseignent les sciences humaines, attentive à la pluralité des modes de vie, des sagesses et des sensibilités.

On admet qu'il existe une Science, une sagesse humaine (laquelle ne se confond pas avec la science occidentale !), fondée sur la Raison. La Raison n'est pas seulement la faculté de distinguer le vrai du faux, le bien du mal et de déterminer sa conduite d'après cette connaissance. La Raison n'est pas seulement l'explication d'un fait, d'un acte. La Raison n'est pas seulement cette intelligence logique, mathématique. La Raison est capable de réfléchir sur elle-même et ses propres conclusions. Elle peut relativiser au regard de l'Histoire. Il n'est pas certain que l'Humanité connaisse véritablement la Raison. Peut-être que la Raison n'est qu'un horizon vers lequel nous serions en mouvement. L'Histoire montre que ce mouvement n'est pas linéaire ni frontal, mais tortueux et indécis.

Cette Science, cette Raison sont capables d'intégrer les cultures du passé et les cultures actuelles non-occidentales.

La priorité doit être donnée à un enseignement montrant à la fois l'unité de l'Homme et la multiplicité de ses conduites culturelles (la culture étant considérée ici dans son sens le plus large). Comprendre les comportements et les mœurs des hommes sous différentes latitudes suppose qu'on ne les JUGE pas d'abord. Jusqu'à présent, l'enseignement a plutôt présenté l'histoire du monde occidental comme une marche vers le Progrès. Jusqu'alors, notre enseignement a privilégié notre culture, ce qui apparaît légitime, mais a souvent dénaturé l'essence même des autres cultures jusque dans ses approches ethnologiques.

 

L'ENFANT DANS LE VOCABULAIRE.



Faire l'enfant. Puérilité. L'enfance de l'art. Un jeu d'enfant. Me prenez-vous pour un enfant? Ne faites pas l'enfant!
Les enfants s'amusent... Ne soyez pas trop bon enfant. On vous traitera d'enfant. Enfant de brigand ! Enfant de putain
! Enfant de salaud. Une femme-enfant. Retomber en enfance. Se faire faire un enfant dans le dos. Ne pas dévorer l'enfant dont on veut épouser la mère. Dévorer le marmot. Un enfant terrible. Un enfant gâté. Un enfant sage. Le gauchisme est la maladie infantile du communisme. Un enfant adultérin. Un enfant naturel.



L'ENFANT ET LE DROIT.



Le Code civil précise que les parents ont à l'égard de l'enfant droit et devoir de garde, de surveillance et d'éducation.

Le mineur non émancipé est en principe incapable d'exercer personnellement des droits patrimoniaux.

Voir UN AUTRE MONDE: L'ENFANCE. De ses représentations à son mythe - de Marie-José CHOMBART DE LAUWE - PAYOT - 1971.


BIBLIOGRAPHIE relative à la pédagogie coopérative

 

DE LA CLASSE COOPÉRATIVE À LA PÉDAGOGIE INSTITUTIONNELLE. par Aïda VASQUEZ & Fernand OURY - François MASPERO - 1971.

UNE JOURNÉE A L'ÉCOLE RURALE - Michel DEBRAY - RETZ -1985. 

UNE JOURNÉE DANS UNE CLASSE COOPÉRATIVE par René LAFFITTE - éditions SYROS - 1985.

L'ÉCOLE : UNE COOPÉRATIVE DES SAVOIRS - PROJET D'ÉCOLE ET ÉQUIPE ÉDUCATIVE- Cycles et multi-âge. 10 ans à l'école ouverte des Bourseaux - Saint-Ouen-l'Aumône, Val d'Oise. 1991. 

CITATION (les autres voies de la connaissance)



(..) le cheminement de la science ne consiste pas en une suite de conquêtes inéluctables, (...) elle ne parcourt pas la voie royale de la raison humaine, (...) elle n'est pas le résultat nécessaire, le produit inévitable d'observations sans appel imposées par l'expérimentation et le raisonnement. J'ai trouvé là un monde de jeu et d'imagination, de manies et d'idées fixes. A ma surprise, ceux qui atteignaient l'inattendu et inventaient le possible, ce n'étaient pas simplement des hommes de savoirs et de méthode.
C'étaient surtout des esprits insolites, des amateurs de difficulté, des êtres à vision saugrenue. Chez ceux qui occupaient le devant de la scène venaient souvent se déployer d'étranges mélanges d'indifférence et de passion, de rigueur et de bizarrerie. de volonté de puissance et de naïveté. C'était le triomphe de la singularité.



Extrait de LA STATUE INTÉRIEURE - de François JACOB - SEUIL -1987


 

ALAIN et FREINET, MÊME COMBAT...

Extraits de : PROPOS SUR L'ÉDUCATION - ALAIN



Si l'on apprenait à penser comme on apprend à souder nous connaîtrions le peuple roi.

L'expérience n'instruit point. Vous dites qu'il faut connaître l'enfant pour l'instruire ; mais ce n'est point vrai ;
je dirai plutôt qu'il faut l'instruire pour le connaître... C'est en le formant à chanter que je saurai s'il est musicien.

Celui qui sait prématurément que la terre tourne ne donnera jamais assez d'attention aux apparences.

Si le maître se tait et si les enfants lisent, tout va bien.

Je veux un instituteur aussi instruit qu'il se pourra, mais instruit aux sources.

Pour l'ordinaire, je conçois une classe primaire comme un lieu où l'instituteur ne travaille guère, et où l'enfant travaille beaucoup.

L'inspecteur a charge de voir non pas si les enfants apprennent mais si les enfants travaillent.

Il faut dire que ces pédagogues bavards finiront par rendre impossible un métier déjà difficile, et qu'au surplus, ils ne connaissent point.

... Et si les enfants savaient ce qu'ils doivent savoir, alors je demanderais au maître de vouloir m'apprendre la pédagogie.

Les cours magistraux sont temps perdu. Les notes prises ne servent jamais. Il faut essayer, faire et refaire, jusqu'à ce que le métier rentre, comme on dit. 

 

DIDACTIQUE

ÉVALUATION: processus systématique visant à déterminer dans quelle mesure les objectifs éducatifs sont atteints par les apprenants.

ÉVALUATION CONTINUE: collecte permanente d'appréciations et de notes sur des travaux diversifiés.

ÉVALUATION SOMMATIVE : c'est l'évaluation-bilan qui intervient à l'issue d'un cycle d'apprentissage.
L'examen est l'exemple-type de l'évaluation sommative.

ÉVALUATION NORMATIVE: elle permet de situer les performances d'un élève par rapport à celle des autres élèves, pendant une même épreuve (les compositions d'autrefois...)

ÉVALUATION CRITÉRIÉE : elle souhaite établir le niveau des performances d'un élève par rapport aux objectifs, selon des critères définis.
(C'est ce procédé que la plupart des formateurs: maîtres-formateurs, I.E.N., essaient de faire passer pour une ÉVALUATION FORMATIVE. 



PETIT RETZ DE LA PÉDAGOGIE MODERNE par M. ROSSINI - RETZ - 1986.

 

A la suite de la parution dans notre journal scolaire du barème des sanctions, une lectrice nous écrivait pour nous faire remarquer que 50 ravnis (monnaie intérieure) d'amende pour sexisme ou racisme, c'était bien peu puisque cela équivalait à l'amende pour chahut en classe.

Je répondis dans le numéro suivant :

Ce sont les enfants eux-mêmes qui ont fixé le barème des amendes et récompenses. S'ils ont mis l'accent sur le silence ou le fait de ne pas courir, c'est parce que cette discipline est plus difficile à obtenir que de combattre le sexisme ou le racisme qui ont été combattus depuis longtemps et dans l'oeuf, dans cette classe précisément. En vérité, cette question était plus une préoccupation adulte me concernant moralement davantage que mes élèves.

M.D.

Voir au sujet des lois de la classe le chapitre DE LA DISCIPLINE

 

Les devoirs du soir sont interdits par une circulaire ministérielle du 29 décembre 1956. Il y eut un rappel le 23 janvier 1971.

Quel enfant, du C.P. (et on me dit que cela gagne certaines grandes sections de maternelle !) n'a pas sa dose quotidienne d'exercices à faire à la maison? Les leçons, l'apprentissage de textes poétiques, de résumés, des recherches dans le dictionnaire sont autorisés. Les travaux écrits sont interdits, en principe.

La demande des parents est très forte. L'instituteur qui ne donne pas ou peu de devoirs passe pour un dangereux laxiste. La création de centre de loisirs (!) ou de sessions de soutien, après la classe, exige des maîtres des exercices qui occupent largement les enfants.

Certains maîtres demandent à leurs élèves de réaliser de vrais travaux de recherche documentaire. Cela sera parfait si toutes les familles disposaient d'une semblable bibliothèque. Or, les situations sont très disparates.

L'abus, à peu près général, des devoirs du soir montre en réalité la très mauvaise adaptation du temps scolaire : journée, semaine, trimestre, année.

Un enfant sortant d'une école équilibrée devrait être libre de profiter de véritables loisirs.