POUR L'ÉCOLE

100 PRINCIPES POUR L'ÉCOLE - Plan

GENÈSE D'UN LIVRE - Ré-écriture d'un entretien avec Edgar Morin - LE CANTIQUE DES CANDIDES  - 

PRINCIPES ISSUS DE LA THERMODYNAMIQUE PRINCIPES ISSUS DE LA BIOLOGIE - PRINCIPES ISSUS DE LA SYSTÉMIQUE

PRINCIPES ISSUS DE LA NEUROBIOLOGIE - NÉCESSAIRE ÉMERGENCE DE NOUVELLES VALEURS PRINCIPES PÉDAGOGIQUES

PRINCIPES ISSUS DES CONSULTATIONS NATIONALES - DE L'AMOUR

 

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PRINCIPES ISSUS DE LA BIOLOGIE

lien annexe : la guerre de la lecture n'est pas terminée

 

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Une cellule appartenant à un organisme, un être vivant en général est caractérisé par plusieurs fonctions.

L'être vivant maintient sa structure. C 'est î 'homéostasie. L'être vivant contrôle et régule ses différents métabolismes.

La cellule croît, se reproduit, joue un rôle dans un système, exerce éventuellement une fonction dans un organe.

La cellule, comme l 'être vivant, meurt.

Les fonctions d'homéostasie (auto-conservation), d'autorégulation, de reproduction, de capacité à évoluer (par accommodation, adaptation ou mutation) caractérisent la vie.

Le cristal présente une forme d'équilibre, d'information, d'ordre. Mais cet équilibre est statique, inerte, improductif. La cellule vivante oppose à cette inertie minérale un dynamisme énergétique, un équilibre instable en perpétuelle évolution. Le vivant se renouvelle en permanence et maintient sa structure intime en dépit de tout. Au bout du compte, le flux incessant d'échanges entre la cellule et son environnement vient à bout de la cellule par usure et vieillissement, mais celle-ci meurt après un long combat pour se conserver en l'état malgré une tendance naturelle (entropique) au désordre.

5 - L'HOMÉOSTASIE. PRINCIPE CONSERVATEUR.

LA RÉSISTANCE AU CHANGEMENT EST NÉCESSAIRE.

Le pédagogue est originellement l'esclave qui, dans la Grèce antique, menait les enfants à l'académie. Le mot école a d'abord désigné ce que nous nommerions aujourd'hui récréation.

Pendant très longtemps, l'éducation est faite essentiellement de répétitions de gestes et de préceptes destinés à re-produire les savoirs, savoir-faire et savoir-être reconnus par le corps social. Les sociétés d'alors sont à la fois initiatiques et pédagogiques. On accède au statut de l'adulte par une succession de rites ancestraux et par un cursus scolastique à l'issue duquel on est, en principe, doté d'un viatique de connaissances pratiques et morales nécessaires à une bonne insertion sociale.

La pédagogie est longtemps et en nombreux lieux une manière d'endoctrinement où le châtiment corporel a sa place légitime. La contestation mène à la punition et à la marginalisation. Mais, évidemment, très vite et en nombreux lieux, la pédagogie est aussi sœur de la philosophie, fille de la théologie, accoucheuse d'âmes, bâtisseuses d'empires, mère de toutes les batailles. C'est dire qu'à côté d'une didactique laborieuse et souvent imbécile, violente s'érige une pédagogie de recherche, faite d'interrogations sur les savoirs et les moyens de les acquérir, sur la logique et l'analogie, l'éloquence et la grammaire, l'approche de Dieu et la musique, l'épanouissement de l'individu et la qualité de la religion (au sens exact : du liant, du lien social).

C'est avec l'Humanisme de la Renaissance que se posent les questions modernes de la prime éducation - celle du plus jeune âge -, des méthodes attrayantes, de la culture du corps et de l'encyclopédisme, de l'exercice de la mémoire, de l'universalisme par l'apprentissage des langues, de l'autorité éducative. Le Siècle des Lumières met en avant la nécessité sociale de l'éducation, le développement du goût, la vertu, l'enseignement public. C'est alors le triomphe de l'Histoire que l'on inculque d'abord aux jeunes princes puis aux enfants du peuple. Lorsque l'Histoire est mensongère, elle s'appelle propagande.

Cependant, les inlassables questions des penseurs sur le rôle de l'éducation, de l'École ou de ses succédanés n'intéressent guère les décideurs politiques, les entrepreneurs et le bon peuple en général. Les uns et les autres sont pressés par une échéance électorale, la conjoncture économique, l'urgence de la vie. D'où, et périodiquement ressassé, le jovial enfoncement de portes ouvertes sur le thème : l'École doit apporter au plus grand nombre la lecture, l'écriture, la maîtrise du calcul et un bagage minimal d'idées claires et simples dans certains domaines de la connaissance.

Affirmer que les enfants de l'École primaire doivent apprendre à lire, écrire et compter vous a un air de gros bon sens imparable qui devrait épargner au corps social la moindre velléité de réforme pour au moins dix ans. À cet égard, J.-P. CHEVèVEMENT, ministre de l'Éducation nationale de 1984 à 1986, relayé de 1986 à 1988, par un de ses clones, l'ancien sympathique garagiste MONORY, aura presque réussi à figer le système durant une décennie. Mais, dire aujourd'hui, que nous dansons (acte bien difficile pour les grabataires que sont devenus les enseignants) sur une chaîne de volcans relève soit de l'utopie nostalgique des années de révoltes, soit d'une clairvoyance et d'une prescience diaboliques.

Car enfin, lire, certes, mais lire comment et quoi ? On sait que la querelle est loin d'être apaisée entre les "Phéniciens", bonimenteurs du B.A, BA qui a "tant fait ses preuves" et les "Chinois", défenseurs d'une lecture immédiate, sans oralisation, globale, du sens de l'écrit. Écrire... Cela semble aller de soi. Mais parle-t-on ici de calligraphie, de dactylographie ou de traitement de texte ? Compter... Bien sûr. Sur ses doigts en base dix, sur ses phalanges selon la base douze ou en hexadécimal pour être proche des ordinateurs ?

 

Qui répond à ces élémentaires questions ? Sûrement pas les textes officiels qui, devant un dilemme, renvoient chacun au huis-clos de sa conscience, au confort cellulaire d'une liberté pédagogique de plus en plus surveillée ou de la tempête sous les crânes surchauffés d'équipes pédagogiques que chaque grave interrogation rend de plus en plus improbables...

On se souvient du douloureux épisode de la définition de la laïcité - plus que centenaire mais dont on avait soudain perdu le mode d'emploi - lorsqu'il s'est agi d'accepter ou de refuser dans les collèges publics des foulards islamiques manifestement provocateurs. Après que chacun, y compris JOSPIN ait prudemment posé la balle en touche, du côté des enseignants de terrain et de leur indispensable sens de la mesure.

En vérité, l'écume médiatique était surtout affaire de chiffons... Un ex-premier ministre gaffa en réduisant les croix chrétiennes à de "tout petits" bijoux innocents. Quelques autres, mieux affûtés, parlèrent des crânes rasés, des cheveux verts d'Iroquois et des slogans aussi divers que lamentables sur les blousons ou les jeans crevés des jeunes fanatiques de la crétinisation de masse. Le vrai débat était ailleurs. Aussi fut-il évacué afin de mieux nous revenir de plein fouet dans quelque temps. Les porteuses de voiles refusaient surtout certains cours de science naturelle et certaines épreuves d'éducation physique contraires à leur religion.

Parce que leur Constitution repose sur la bible, les États-Unis ont dû accepter que les pantalonnades créationnistes des tenants d'Adam et Ève aient même droit de cité que l'évolutionnisme darwinien. Simple efficacité d'un lobbying redoutable et opiniâtre.

Nous voici au cœur du problème. La France est un état laïque.

En France, l'éducation est un droit pour les enfants. C'est un devoir pour les familles. Répétons-le, ce n'est pas l'école qui est obligatoire, c'est l'éducation et l'instruction. Les familles qui le souhaitent peuvent avoir recours à des précepteurs. Parce qu' elles sont obligatoires, et afin d'être dispensées à tous, l'éducation et l'instruction sont offertes gratuitement à ceux qui le désirent dans des écoles et établis­sements scolaires. En raison de la laïcité de l'État français, les écoles sont publiques et n'ont donc pas d'autre morale que celle de la République, laquelle se réclame des Droits de l'Homme.

À côté de l'enseignement public, sous contrat ou non avec l'état, existent des écoles confessionnelles (catholiques, protestantes, judaïques, islamiques), des écoles privées de caractère souvent élitiste. Ainsi l'a voulu le législateur. Cela ne se discute pas. Cela se remet éventuellement en question par une autre législation...

Le corps social, comme la cellule vivante ou l'individu, a besoin de conserver sa propre identité. Le corps social a besoin de repères, de signes consensuels plus ou moins évidents. Tout dépend des aléas de l'Histoire. En période de crise, il est nécessaire de rendre plus visibles que jamais les repères et jalons de ce qui constitue, reconstitue, noue et trame le tissu social.

L'École où se joue l'avenir de la Nation doit, en période cathartique, demeurer parfaitement identifiable, reconnaissable, rassurante.

Cela signifie que le principe fondateur, celui de la laïcité de l'École publique, doit être une loi d'airain.

Une loi d'airain ne peut s'appuyer sur des principes et des textes flous, vagues, fuyants, faits de compromis et empreints d'une tolérance qui ressemble à de la faiblesse. L'École publique est laïque. Son éthique est celle des Droits de l'Homme. Le corpus de connaissances transmises est basé sur la Raison et l'esprit scientifique ce qui implique nécessairement un constant état de recherche et de doute. Un état théocratique ne peut pas douter. Il est nécessairement condamné à la stagnation ou au schisme. L'esthétique de l'École publique devrait être la quête perpétuelle de la Beauté dans l'infinie diversité de ses représentations dans l'Univers.

Il n'y a pas là de quoi hurler avec les hyènes de Thermidor à la dictature de la Raison et de l'Être suprême. Il s'agit de savoir sur quels principes essentiels reposent la Nation, l'État,,!'Appareil public d'éducation. Au fronton de nos vieilles écoles julesferrystes, que lit-on ? LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ. Nous avons fait des progrès certains quant aux libertés dites formelles. Mais est-on sûr de ne point les corrompre et les vider de sens lorsque le système économique accroît les écarts de fortune (ici le mot fortune recouvre à la fois la richesse et la chance) ? Peut-on parler de fraternité lorsque, après vingt ans de purgatoire d'après-guerre, les racismes de tous poils refont surface avec le succès que l'on voit ?

L'École n'enseigne plus guère cette morale-là, celle des pères fondateurs de la République. Oublions ici, pour simplifier le débat, qu'ils ont été aussi des colonialistes sans états d'âme, parfois bien plus cyniques que les premiers conquistadores qui craignaient encore, eux, l'excommunication.

Notons que les établissements privés ne se fondent guère non plus sur les évangiles... Les écoles confessionnelles font leur beurre avec le désarroi et la paupérisation de l'École publique entretenus par les pouvoirs politiques et les enseignants eux-mêmes qui prennent un malin plaisir à scier la branche sur laquelle ils sont (peu confortablement) installés...

À l'heure où l'on reparle ici ou là de "purification ethnique", l'École préfère enseigner la concordance des temps que la concordance des gens.

Soyons provocateurs en ayant l'air réactionnaires. Au vrai, en réagissant contre un état flagrant de délitement d'une institution, l'École, que nous avons passionnément aimée. Il y a plus de cinquante ans, pendant quatre années, une clique d'extrême droite, regroupée derrière un vieillard ambitieux, a effacé, avec la République, la trinité révolutionnaire pour y inscrire celle de la "Révolution nationale".

TRAVAIL, FAMILLE, PATRIE.

"La meilleure façon de tuer un homme, chantait Félix LECLERC, c 'est de l'empêcher de travailler. " Nous y voici. Des pères de famille réduits à l'impuissance. Assistés. Tournant en rond. Entre le bistrot

et la télé.

La tribu, le clan, la famille patriarcale ou matriarcale que Fernand BRAUDEL avait distingués dans le vaste tissu historique de notre vieux pays ont disparu, remplacés brièvement par ce que l'on a nommé, juste après Hiroshima précisément, la famille nucléaire. Papa, maman et un enfant virgule huit...

Pendant le même temps, des mères bien plus fécondes, arrivant tout droit des débris de notre empire colonial, mettaient au monde deux enfants virgule cinq.

Familles éclatées, écartelées, cassées par les séparations multiples. Demi-sœurs, demi-frères. Pères naturels et pères adultérins. Mères célibataires, mères courages, mères porteuses... Et la mère patrie menacée par les hordes tiers-mondiales, au grand dam des éternels excités de la vieille extrême-droite nationaliste, monarchiste, intégriste, militariste, chauvine, raciste...

Rien ne va plus.

Exiger de l'École qu'elle obéisse aux hasards du marché, de la conjoncture économique, relève du fantasme mal dirigé. Mais L'École doit fournir du travail. Le travail de l'appareil éducatif consiste à produire toujours plus d'intelligence, de culture, d'adaptabilité, de connaissance, de recherche, de curiosité, d'art. L'école doit sécréter les citoyens qui, demain, refuseront la fatalité prétendument économique du chômage. Les enseignants ne peuvent pas, seuls, donner tout l'amour dont ont besoin les enfants pour croître harmonieusement. L'amour conjugal ne se décrète pas. Mais on pourrait peut-être, au moins, dès aujourd'hui, cesser de mentir sur ce sujet vital. La vie à deux, la vie en groupe, la vie communautaire, la vie en société, ce n'est pas facile. Il ne suffit pas d'appliquer les recettes erronées parce qu'obsolètes à la seconde.  

Voir les textes organiques de l'École publique.

Vivre ensemble, en famille, en communauté, en clan, en matrie ou en patrie devrait faire l'objet d'un enseignement et d'une éducation active, réflexive, prospective et introspective. Les équations, la grammaire, les grandes dates de l'Histoire ne viennent que très loin dans Tordre des priorités que devrait se fixer l'École après cet objectif fondamental : apprendre à vivre ensemble...

 

6 - AUTORÉGULATION : PRINCIPES D'ASSIMILATION ET D'ACCOMMODATION PAR RAPPORT AU MILIEU.

LA DYNAMIQUE DU CHANGEMENT

L'être vivant ne se conçoit pas sans un environnement, un milieu, une bio-sphère. Selon les termes de Jacques MONOD, le "rêve" de la cellule est de se perpétuer telle qu'elle est, en conservant son identité (invariance ou homéostasie). Cependant la cellule vit dans un milieu qui agit sur elle et qui la transforme en même temps qu'elle agit sur le milieu et qu'elle le transforme. On peut donc parler, sans tomber dans l'anthropomorphisme ou l'analogie abusive, du caractère conservateur de la cellule, de son attitude proprement réactionnaire vis-à-vis du milieu en même temps que de son progressisme révolutionnaire puisque, pour survivre, elle doit se transformer et, au besoin, muter.

La tradition taoïste a fait preuve d'une grande intuition puisque ces notions y sont présentes. Le Yin et le Yang sont des principes antagonistes mais complémentaires qui régissent l'Univers. Au Yin centri­fuge, métabolisant, désordonné, expansionniste, s'oppose le Yang centripète, homéostatique, ordonné, centralisateur.

La cellule a un double comportement.

D'une part, elle assimile le milieu. Elle tente de le rendre assimilable, elle le convertit en sa propre substance. Cela ne peut se faire qu'en référence à des schèmes déjà existants. Car il s'agit de conserver sa propre structure. D'autre part, elle s'accommode au milieu, elle s'en accommode afin de s'adapter à une situation nouvelle, inédite. Une fois la situation nouvelle intégrée, assimilée, elle fait partie de la "mémoire" de la cellule. Une situation analogue sera désormais re-connue, considérée comme schème pré-existant. S'accommoder c'est accepter de faire le deuil d'une partie de soi afin de pouvoir assimiler le milieu, le maîtriser, donc s'en nourrir, s'en enrichir.

L'adaptation à un milieu très différent est parfois si brutale, si indispensable, si vitale qu'on assiste à une accommodation radicale : une mutation qui peut transformer une partie du programme génétique de la cellule.

Assimilation et accommodation mettent donc le vivant dans une situation toujours précaire, toujours en devenir, instable et dynamique, indissolublement lié au temps, à la durée.

CRISE(S)

On assiste actuellement à une double évolution.

L'histoire s'accélère et la longévité humaine dans les sociétés développées progresse. Aujourd'hui, pour les adultes de plus de trente ans, - mais qu'en sera-t-il de ces enfants élevés par la télé, les consoles de jeu et la vidéo ? - l'équipement socioculturel dont ils ont été dotés pendant l'enfance ne permet plus de répondre à des changements de plus en plus accélérés.

Quand on dit : accélération de l'histoire, ne vaudrait-il pas mieux parler de COMPLEXIFICATTON CROISSANTE du groupe social ?

Il est probable que, de tous les temps, il y a eu des problèmes d'adaptation. Mais il semble que le présent en pose davantage que le passé.

On croit, peut-être à tort, à une pérennité millénaire, depuis les grandes invasions du V° siècle jusqu'à l'invention de l'imprimerie et à la découverte de l'Amérique. II ne fait pas de doute que ce que nous nommons Moyen-Âge a été universellement traversé de terribles crises et de formidables moments de progrès. Pourtant, nous nous berçons de l'illusion d'une continuité historique rassurante.

Cependant, nous connaissons, ici et maintenant, de multiples crises d'identité. Pour se sentir bien, l'homme doit se sentir en accord avec son passé et son futur (évidemment rêvés, imaginés, embellis, fantasmes). Pour se sentir bien, l'homme doit être en relatif accord avec son environnement.

L'environnement (notamment économique, social et technique) change plus vite que nous n'avons la possibilité de nous changer nous-mêmes. Il y a un désaccord entre notre être et le milieu. Nous devenons inadaptés, décalés.

L'équilibre, la santé, c'est la marge que nous accordons aux "infidélités" du milieu. Nous pouvons accorder une marge de changement à notre environnement. Au-delà de la limite autorisée, nous ne supportons plus l'accélération de l'histoire et nous perdons notre identité. Pire, notre équilibre mental est en danger. Lorsque la folie atteint l'inconscient collectif, on peut craindre le pire...

 L'espèce humaine ne semble pas avoir été préparée par les millénaires précédents à changer continuel­lement sa façon de se comporter. Or, dans les sociétés industrialisées qui entrent dans la "post-moder­nité", caractérisée essentiellement par le développement vertigineux de l'information, nous y voici contraints. Les acquis de notre enfance sont devenus partiellement obsolètes. Jusque dans les années soixante, chez nous, quand on avait fait de bonnes études, un bon apprentissage, on avait une garantie de pouvoir utiliser ces techniques et tours de main jusqu'à la fin de ses jours.

Désormais, même les meilleures qualifications se délitent en peu de temps, en raison de la rapidité des changements technologiques. Les exigences économiques évoluent à grande vitesse. Pourtant, certains impératifs sociaux demeurent. Les besoins fondamentaux : le gîte et le couvert, notamment, restent et font cruellement défaut aux exclus de la société moderne.

Actuellement, tous les dix ans, ce qu'on avait coutume de faire est dévalorisé. Il faut apprendre à faire autrement. II faut par conséquent être autrement. Chacun est donc sommé de se créer un personnage, une identité nouvelle. Chacun est contraint de se modifier dans le rôle social qu'on est censé jouer. Cela ne serait pas insurmontable s'il n'y avait contradiction dans l'attitude de la société elle-même. Ici, le mot société désigne très précisément les pouvoirs politiques, culturels, économiques... Car les pouvoirs, eux, ne se remettent pas en question, en dépit de leur évidente obsolescence. Cela n'empêche pas de demander aux individus de véritables métamorphoses tout en exigeant de chacun qu'il présente ses papiers d'identité, qu'il fasse atout moment état de son passé, de ses références, de ses certificats.

Cela constitue un paradoxe et une pression sociale permanente, génératrice de conflits et de violence. Et les jeunes sont particulièrement sensibles aux crises identitaires du corps social, de par leur nature et leur immaturité même.

L'appareil éducatif a un rôle à jouer dans l'adéquation entre les exigences sociales et les légitimes besoins de calme des individus. L'École pourrait enseigner, au jour le jour, une adaptabilité tranquille des individus.

On sait parfaitement actualiser les connaissances. Les banques de données sont quotidiennement mises à jour. Mais les écoles ne sont pas correctement informatisées. L'institution est devenue le jouet des politiques. L'École est elle-même en crise depuis plus de vingt ans. Nous voici dans la phase aiguë, paroxystique. Elle ne peut muter que par une volonté interne, endogène, globale et cathartique. L'institution n'a rien à attendre des pouvoirs. L'École changera douloureusement lorsque le divorce avec le corps social sera devenu insupportable et donc inévitable. L'école ne peut plus s'adapter. Elle ne peut que muter, se ré-accoucher dans la souffrance, pour sortir enfin de l'incroyable chaos psychique, de la schizophrénie terrible qui la ronge.

7 - REPRODUCTION, DE LA RÉPLICATION À L'INVENTION DU SEXE... SURVIVOR

Ce jeu sur ordinateur a été mis au point en 1982 par Vi-Fi NATHAN et n'a malheureusement pas connu de réel engouement dans le public et notamment chez les scolaires, après le Plan Informatique pour Tous en 1985.

On peut jouer seul ou à deux.

Seul, il s'agit de placer sur l'écran un nombre donné de cellules afin que cette population croisse et se développe le plus longtemps possible.

L'ordinateur gère la vie et la mort des cellules selon les principes suivants :

- 3 cellules voisines sur la grille donnent naissance à une cellule nouvelle. Si les 3 cellules sont alignées, elles donnent naissance à 2 nouvelles cellules adjacentes.

- Si une cellule a plus de 3 cellules pour voisines, elle meurt étouffée au tour suivant.

- Si une cellule est isolée ou n'a qu'une cellule pour voisine, elle meurt d'isolement au tour suivant.

Lorsqu'on a créé son petit monde, on lance le programme. Un compteur accompagné d'un histogramme indique l'évolution de la population. Un chronomètre marque le temps en secondes.

Le comptage est stoppé en cas de disparition totale de cellules ou de répétitions de mouvements stériles. On s'aperçoit qu'une création très organisée, géométrique, symétrique, obéissant à un ordre précis aboutit à une mort rapide de la population. Plus la création est hasardeuse, plus elle se complexifie et plus elle dure.

A partir d'une population de 40 cellules placées sur la grille de 400 points, les yeux bandés, notre record de longévité a été de 345 secondes.

A deux, il s'agit de mettre en compétition des cellules mauves et des cellules bleues. Les lois de reproduction sont les mêmes que précédemment.

Attention, mon adversaire peut - involontairement - m'apporter de la vitalité en plaçant une de ses cellules dans ma population, comme je puis étouffer mes propres cellules en ne diversifiant pas suffisamment mes colonies ou en oubliant d'observer la stratégie de mon adversaire. Imaginez un échiquier où, après chaque coup, la disposition des pièces serait modifiée de façon apparemment aléatoire ! Selon de degré de difficulté, le jeu est doté de cases stérilisantes et/ou de cases empoisonnées qui tuent les 8 cellules susceptibles de naître à leur portée...

On s'aperçoit, en jouant à SURVIVOR qu'il est très difficile de prévoir l'avenir de la population qu'on est censé gérer car la situation n'est pas figée mais en perpétuelle mutation. Il devient également vite évident que Ton doit, bon gré mal gré, collaborer avec l'adversaire pour sauver ses propres cellules, car toutes sont soumises aux mêmes lois.

Plus je suis "impérialiste", expansionniste, plus je veux occuper le terrain, plus j'étouffe mes troupes. Au contraire, si j'obéis à une stratégie prudente en créant des îlots misérables de vie mesurée, ma population disparaît rapidement, par manque de contacts.

Ce jeu me fait donc découvrir intuitivement l'équilibre dynamique qui caractérise la logique du vivant. Ce jeu pour "hémisphères cérébraux droits" déroute les joueurs de dames, d'échecs et, a fortiori les adeptes de jeux vidéos où les "bons" et les "méchants" sont définis de façon manichéenne dans des combats purement "physiques" (faits d'adresse digitale sur la manette de jeu...)

La duplication des idées, des systèmes, des modes d'organisation, des fonctions, etc... est nécessaire lors des phases militantes de la vie des institutions éducatives. A la manière des ordres religieux, l'École de la énième république dupliquait jusque dans le moindre village de France un système cohérent qu'une espèce de missionnaires d'un genre nouveau (les hussards noirs de la République) avait pour mission de faire pénétrer dans le tissu social de l'ère industrielle.

L'École du XXIème millénaire commençant devrait être celle de l'ère informationnelle. Il ne s'agit plus de dupliquer mais, comme dans la reproduction sexuée, de créer. Un et un ne peuvent plus faire deux, mais autre chose, un être nouveau, inédit, irremplaçable. L'École a fourni successivement des croyants, des producteurs, des consommateurs. Elle devra, sous peine de voir éclater les liens sociaux, produire des créateurs.

8 - ÉVOLUTION ET ÉMERGENCE.

Mutins mutants (selon Edgar MORIN) ou mutins mutilés ?

Avec l'accélération de l'Histoire, la pandémie qui nous menace - en touchant au cœur du problème : savoir aimer - peut-être sommes-nous à l'aube d'une véritable mutation ? Nous attendions de lentes transformations physiologiques de l'espèce, et nous voilà confrontés - souvent dans la plus totale inconscience - à une véritable et vitale révolution de la pensée. On parle du corps social, d'organisme, de la conscience et de l'opinion publiques, de l'Inconscient collectif. Et si, comme la ruche Test pour l'abeille, au-delà de nos vies individuelles, ce qui comptait, c'était l'Humanité ?

Depuis quelque temps, les peuples du Pacifique se retrouvent pour constater l'unicité et la diversité de leurs coutumes, l'importance de la danse et du geste comme langage, le rôle structurant des mythes fondateurs. Depuis peu, les peuples amérindiens ont pris en main leur propre destinée. Ils ont compris les dangers d'une intégration désintégrante par la télé, la sédentarité automobile, l'alcool et la drogue. Les Aborigènes savent quel danger le mode de vie occidental représente pour leur propre survie. Aussi continuent-ils de faire confiance à la Pythie de leurs rêves... Pendant ce temps, notre société connaît les aberrations que l'on sait. Des gens meurent de faim, de froid et d'idiotie en plein milieu de la surabondance de biens et d'informations. Nous recourons à d'absurdes et coûteuses machines à communiquer pour échanger nos médiocres pensées. Nos enfants se gavent de sucres, de graisses et de fictions télévisuelles qui détériorent leur système de référence éthique.

Depuis plus de vingt ans, dans notre pays les mutins, les rebelles, les inventeurs, les contestataires vont à la soupe et se vendent au plus offrant. Un système biologique ou social est, nécessairement, extrêmement conservateur, homéostatique. Cependant il secrète suffisamment d'éléments révolution­naires ou réformistes pour se transformer et évoluer, échappant ainsi à la sclérose.

Le rôle des mutins est de rappeler au corps social les lois de justice, d'équité et de grandeur. Les mutins doivent être plus ou moins incorruptibles. Longtemps, l'école enseigna l'hagiographie des grands rebelles ou des rebelles plus obscurs. Vercingétorix est la figure emblématique du fellagha gaulois. Le Grand Ferré c'est le Jacques résistant à l'Anglais, Jeanne d'ARC est la vierge nationaliste, Jeanne HACHETTE défend sa cité, Bernard PALISSY est le prototype du génial inventeur fou, les jeunes BARA et VIALA meurent pour la République, Nicolas VATEL pour son art et pour son roi. Charles de GAULLE est le dernier des grands mutins. Condamné à mort par le gouvernement de la IIIème République confié à PÉTAIN.

Les récits de toutes ces biographies enluminées ont exalté bien des jeunes âmes et suscité quelques vocations. Disons-le, l'Histoire n'est plus guère véritablement enseignée. Nos collègues institutrices ne la prisent guère et la connaissent peu. Il existe peu d'érudites locales historiennes. Les plus jeunes ignorent à peu près tout de l'Histoire et n'ont pas la vision historicienne des choses. Or, la perspective historique, la réflexion sur le passé, les leçons de l'Histoire sont précisément ce qui distingue, depuis les Grecs anciens, notre civilisation et notre forme de démocratie. 

Si les sociétés dites froides par LÉVI-STRAUSS se fondent sur des mythes indiscutables, de redoutables mais indispensables tabous qui régulent le corps social, nos sociétés chaudes connaissent la mémoire historique, laquelle est sélective, affective, volatile et versatile. Cependant l'enseignement de l'Histoire joue le même rôle symbolique que le mythe fondateur. Cesser d'enseigner l'Histoire, laisser une autre civilisation imposer ses référents culturels, c'est s'exposer à n'avoir plus de mutins, donc plus de levain ni de sel dans la pâte sociale. C'est prendre le risque de la prolifération des sectes et des factions, des reniements et des révisionnismes, des apathies mortelles et des fanatismes aveugles. Ce risque inouï le ministre Claude ALLègre en 1999 l'a pris ouvertement. Il faut croire que beaucoup, chez les politiques, préfèreraient un peuple amnésique en dépit des sempiternels appels au "devoir de mémoire"...

9 - PRIMAUTÉ DE LA PHYSIQUE ET DE LA BIOLOGIE.

"LA NATURE DE LA NATURE. LA VIE DE LA VIE" (Edgar MORIN)

Le substrat de toute écologie des idées est dans la réalité physique et bio-chimique de notre être. C'est pourquoi ces bases scientifiques devraient être interrogées et explicitées (au fur et à mesure des avancées théoriques) au plus tôt.

10 - DANGER DE TENTATION DE LA "THÉORIE UNITAIRE" : RISQUE D'IDÉOLOGISME.

"LA VÉRITÉ EST UN PAYS SANS CHEMIN" - (KRISNAMURTI)

Parler de la complexité du réel revient souvent à admettre implicitement qu'on ne le comprend pas. La complexité, admise par les esprits les plus ouverts, les mieux cultivés, les plus intuitifs, constitue une sorte de brouillard.

On sait, en météorologie par exemple, qu'en dépit de l'amélioration des outils toujours plus raffinés, qu'en dépit de l'accroissement des paramètres et de la vitesse des calculs, qu'en dépit du resserrement des mailles du réseau d'informations qui recouvre la planète, existe un seuil de prédictibilité au-delà duquel l'on ne peut plus rien. Le réel échappe à l'analyse. Pourquoi ? Parce qu'il n'est pas horloger,

immuable, ferroviaire.

Le réel est le théâtre de milliards de petites catastrophes qui, de proche en proche, peuvent en générer déplus importantes. C'est le fameux effet aile de papillon. Le battement des ailes d'un papillon pourrait provoquer dans l'atmosphère une turbulence légère, laquelle, par interactions multiples et aléatoires pourrait engendrer un cyclone à des milliers de kilomètres de là. On retrouve là la théorie des catastrophes chère à Ilya PRIGOGINE.

Le réel est complexe. Plusieurs attitudes peuvent découler de ce constat.

1 - Le renoncement.

On ne cherche pas à comprendre davantage. On s'installe - mollement, sans grande conviction - sur des positions traditionnelles. Ce comportement est celui de la majorité de nos concitoyens.

2 - La mite dans l'irrationnel.

Ici les certitudes traditionnelles ne sont pas satisfaisantes et ne rendent pas compte de tout. Le présent interroge. Les recettes du passé sont inadéquates. Il se trouve alors toujours une coterie, un parti, une secte dirigée par un gourou, un homme providentiel, un "phare" de l'humanité pour proposer une solution simple et définitive aux questions existentielles de personnes qui n'ont pas nécessairement un quotient intellectuel déficient ou une culture trop lacunaire. On a vu de grands esprits se faire ridiculiser par de redoutables escrocs de la pensée.

3 - La spécialisation.

Faute de pouvoir tout connaître de tout, on essaie de tout savoir sur une petite partie du réel. On s'en tient là, avec humilité et modestie.

4 -L'encyclopédisme avec ou sans pédantisme.

Exercice difficile. On est spécialiste de rien, mais on essaie de se renseigner sur tout. Le touche-à-toutisme menace, avec des approximations, ses erreurs de perspectives, ses intuitions fulgurantes aussitôt démenties.

D'essence auto-didactique, cette façon d'envisager la connaissance est évidemment une cible de choix pour tous les spécialistes qui repèrent rapidement les faiblesses d'un interlocuteur pluridisciplinaire qui vient braconner sur leurs différentes chasses gardées.

5 - La mise en oeuvre d'une théorie unitaire.

Elle peut prendre racine dans différents terreaux. Pour ce spécialiste de l'oreille, tous les problèmes cognitifs, psychologiques, physiologiques viennent de cet organe miraculeux. Le psychanalyste verra de l'Oedipe mal digéré dans tous les symptômes somatiques des individus. Le généticien trouvera une explication globale dans l'ADN. L'informaticien considérera tout être comme une machine binaire. Et ainsi de suite... On pourrait multiplier (et illustrer) les exemples...

À un niveau supérieur de réflexion, on voit bien que la tentation de la théorie unitaire agite beaucoup de chercheurs. Il y a comme une impossibilité de l'être humain à vivre l'incertitude, la crise du savoir; il y a comme un irrépressible besoin de mettre les découvertes en communication afin d'en tirer une synthèse capable de tout expliquer ; il y a comme une usure de l'enthousiasme chez le chercheur et une envie terrible de se reposer dans une néo-certitude dont on est, un peu, le père. Il y a enfin des impératifs de la vie, du travail, d'une certaine rentabilité, d'une demande voire d'une pression sociale de la part d'un public avide de certitudes sécurisantes. Mais à un néo-matérialisme qui réduit la pensée au biologique s'oppose un archéo-spiritualisme toujours ressurgissant qui confond le Big Bang avec premier jour de la Création par Iahvé.

Mais à la volonté ordonnatrice de la cybernétique des années 50, se sont opposées les théories de la physique des systèmes aléatoires, catastrophiques et dissipatifs.

Le modèle cybernétique, appliqué à la biologie, ne permet pas de comprendre que la machine vivante soit capable de s'autocomplexifier. Pour la cybernétique, la machine reçoit un programme de son environnement, la machine n'a pas d'autonomie. Or, le programme génétique est différent d'un programme mécanique ou informatique. En effet, il y a la particularité de se "programmer lui-même" ! Les protéines de la cellule - véritables opérateurs - "transcrivent", "traduisent" le message contenu dans les gènes, mais elles sont elles-mêmes codées dans les gènes. Il y a donc récursivité, circularité, enchevêtrement de niveaux.

Dans le domaine de l'éducation, il est clair que les décideurs ont toujours eu une attitude "cybernétique". Ils ont considéré le système éducatif comme une machine inerte qu'il convenait de programmer.

La loi de programmation de 1990 témoigne parfaitement de cette vision d'un exécutif politique et administratif injectant littéralement un contenu programmé à un vaste corps réputé vide, sans mémoire, sans sentiment, sans passion.

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Il n'y a pas aujourd'hui d'autre vision de la biologie que physico-chimique. Et le cognitif peut parfaitement être conçu comme un ensemble de propriétés émergentes à un niveau de complexité de la matière qui est celui du cerveau, donc aussi du biologique. Les récentes théories de l'auto-organisation et des sciences cognitives (qui font un large usage des réseaux d'automates) fournissent des modèles communs aux différents domaines : depuis des molécules jusqu'aux idées, en passant par les organismes vivants. Tout cela renforce apparemment cette tendance à l'unification, en apportant de l'eau au moulin d'une grande synthèse renouvelée, qui se répand dans la littérature sous le nom d'épistémologie évolutionnaire. Il s'agit en fait d'un néo-darwinisme, considéré comme un paradigme unique expliquant aussi bien la complexification de la matière, révolution des espèces que l'émergence de la pensée. Tout cela apparaît comme un processus unificateur qui serait conscient de soi.

Il s'agit là d'un piège du besoin unificateur qui ignore allègrement les spécificités irréductibles entre différents niveaux d'organisation et qui confondent modèles formels et processus réels.



d'après Henri ATLAN (1991)

Voir aussi les oeuvres de Jean-Pierre CHANGEUX.



L'HORLOGER AVEUGLE


Faut-il postuler un grand horloger à l'origine des formes innombrables et complexes de la vie, ou bien peut-on l'expliquer entièrement, comme le proposait DARWIN, par la sélection naturelle?

Richard DAWKINS - Robert LAFFONT - 1989. 

 

J'aime toujours l'odeur des bébés. Avec leur gros cortex avide d'apprendre et d'engranger, leurs capacités physiques d'infirmes moteurs, ils apparaissent pour ce qu'ils sont : des êtres enfermés dans une enveloppe trop étroite et malhabile à la naissance. Les petits chimpanzés sont incomparablement plus doués. Cependant, dès l'apparition des premiers gazouillis, puis des premiers mots, on voit bien que le cerveau humain, relié aux sens, se développe à vitesse grand V. Les yeux, les mains, la bouche, les oreilles, enregistrent des milliards de stimuli. Ces expériences multiples, réitérées "en boucle" (la cuillère cent fois jetée, cent fois  ramassée) s'inscrivent dans les neurones. C'est à cette période de la vie que les synapses se nouent...


J'ai raconté souvent cette histoire. Mais pas ici. Dès son plus jeune âge, je posais Damian (le frère aîné d'Aimé) devant la baie vitrée donnant sur la mer. Et je lui disais "Tu vois, c'est la mer". D'abord globale, sa vision de la mer se fit plus "analytique" : il repéra les nuages, les oiseaux, la chapelle... Je lui chantais "La mer", de Charles Trenet. Puis lui fis entendre plusieurs versions de la chanson. J'enregistrai en vidéo le concert du Fou chantant au Printemps de Bourges... Damian me faisait repasser la séquence de "La mer". Un plan notamment le mettait en joie : lors d'une reprise du refrain, on voyait le pianiste sautiller sur son tabouret et Damian dansait en l'imitant. Un jour, découvrant le parement de briques de la cheminée de salon, il me le montra et dit "Papou ! La mer". "Non, lui dis-je, et montrant la fenêtre, la mer est là !" Alors, sur l'alignement de briques qui ressemblait à un clavier, il se mit à mimer le pianiste... Derrière le mot MER, il y avait un monde : la mer, certes, mais aussi Charles Trenet, la chanson, le piano, le pianiste, la forme "globale" d'un clavier. Plus tard, ce monde se diviserait en mille détails, chacun devenant un nouveau concept, avec de nouveaux vocables, de la polysémie, des souvenirs réajustés d'instant en instant... L'évolution cognitive, la croissance se passent ainsi, SANS MÉTHODE, dans le continuel va-et-vient entre le monde et le cerveau qui l'appréhende, nommant peu à peu les éléments infinis qui le constituent. Ce miracle se produit sans qu'on puisse vraiment en repérer les cheminements secrets et totalement singuliers. Ce miracle s'effectue hors de notre portée, souvent dans les nuits de sommeil profond ou paradoxal où le cerveau met les choses en ordre, je veux dire dans un ordre toujours revu et corrigé, associant là une couleur à un souvenir furtif, à un mot qui fera rire ou qui fera peur, à une odeur, à une ambiance indéfinissable même pour l'adulte qui, au hasard d'une sensation, replongera un instant dans sa petite enfance...

M.D. - Le Poil dans la Main - n° 182 - Novembre 2006

 

FONDEMENTS DE LA SOCIÉTÉ ET DE L'ÉDUCATION.



Dans LA NOUVELLE GRILLE, Henri LABORIT a opposé à la trilogie républicaine liberté, égalité, fraternité, trois mots qui lui semblaient moins irréalistes: conscience, connaissance, imagination.

Sans aller jusqu'au renoncement total aux principes de 1789, il n'est pas inutile de nuancer précisément dans le sens où l'on entend LABORIT.

On n'est libre que dans la mesure où l'on est conscient des déterminismes qui nous accablent. La liberté est effectivement un leurre si je n'ai pas conscience de mon crédit et de mon débit génétique, du rôle de mon éducation, des péripéties de mon histoire personnelle, des automatismes engrangés, des grumeaux et des lacunes de ma mémoire, etc...
Je ne serai relativement libre qu'à l'issue d'un long travail d'auto-analyse.

L'égalité ne doit pas être assimilée à l'identité. Il faut parler d'égalité de droits dans la connaissance et le respect des différences. On comprend bien que le droit au logement n'est pas le même pour un handicapé moteur et une personne valide.
Conscience et connaissance font naître l'indispensable tolérance, proche de l'amour du prochain mais plus pragmatique, selon Henri LABORIT, que la fraternité.

Conscience et connaissance des déterminismes, des inégalités de naissances, de nos limites, de la déchéance enfin liée au vieillissement et à la mort peuvent apparaître comme autant de constats désespérés...

L'espoir qui demeure réside alors dans la capacité imaginative de tous et de chacun à créer de nouveaux rapports sociaux, plus solidaires, plus intelligents, plus ouverts. L'espoir, entre conscience, connaissance et imagination consiste à inventer l'amour.

Est-ce moins idéaliste que le triptyque démocratique?


LA NOUVELLE GRILLE

Henri LABORIT - Robert LAFFONT - 1974



 


DIDACTIQUE


VALIDITÉ DES SCIENCES DE L'ÉDUCATION.


Cinéaste de génie, Orson WELLES a toujours douté du septième art. Il n'était pas sûr que le plus grand artiste du XXième siècle retenu par la postérité soit un cinéaste. Il croyait davantage à la littérature, à la peinture et à l'art dramatique.

Périodiquement, le cinéaste Jean-Luc GODARD exprime la conviction que le cinéma, art de la lumière et du mouvement, soit comme une sorte de pétard faisant long feu dans "histoire de "art. Il estime que la fin de ce siècle verra la fin du cinéma.

On peut se poser la question quant aux "sciences de l'éducation".

L'enfant est placé au "centre du système éducatif', théoriquement, avec Jean-Jacques ROUSSEAU et ÉMILE. ÉRASME, RABELAIS ont ouvert des brèches. Mais, considérons ROUSSEAU comme le père fondateur d'une pédagogie de la personne, une personne hautement sociabilisée, en même temps qu'individualisée. Auparavant, l'enfant est, littéralement, celui qui est privé de parole.

Deux siècles après CONDORCET, aucune nation n'a encore donné corps à un système éducatif (cohérent, reposant sur des principes scientifiquement éprouvés, immédiatement exportables, donc universels.

La crise de l'éducation apparaissant comme planétaire, on peut se demander si la pédagogie humaniste, comme le cinéma, n'aura pas été un feu de paille dans ce siècle et si des décennies de barbarie ne nous attendent pas au début du IIIème millénaire... 




DIDACTIQUE.

Des oeuvres, des références culturelles, des dates devraient constituer un fonds de connaissances incontournables.

Pensons ici à "Nuit et Brouillard" d'Alain RESNAIS mais aussi à "La dispute de Valladolid" où l'on voit les autorités religieuses espagnoles se demander si les Indiens ont une âme. Il faut qu'ils en aient une, d'abord parce que cela nuira aux Portugais, très engagés dans l'esclavagisme. Cette décision, évidemment contraire au négoce, conduira à délaisser les Indiens et à faire de l'Afrique noire une pourvoyeuse d'esclaves...