100 PRINCIPES POUR L'ÉCOLE - Plan
GENÈSE D'UN LIVRE - Ré-écriture d'un entretien avec Edgar Morin - LE CANTIQUE DES CANDIDES -
PRINCIPES ISSUS DE LA THERMODYNAMIQUE - PRINCIPES ISSUS DE LA BIOLOGIE - PRINCIPES ISSUS DE LA SYSTÉMIQUE
PRINCIPES ISSUS DE LA NEUROBIOLOGIE - NÉCESSAIRE ÉMERGENCE DE NOUVELLES VALEURS - PRINCIPES PÉDAGOGIQUES
PRINCIPES ISSUS DES CONSULTATIONS NATIONALES - DE L'AMOUR
***
DIDACTIQUE
LA GUERRE DE LA LECTURE N'EST PAS TERMINÉE... L'apprentissage de la langue est évidemment
un lieu privilégié d'affrontement entre un pouvoir cybernétique
et un organisme vivant auto-programme : le grand Appareil d'Éducation
nationale. Fin 1992, le Ministre diffuse une brochure dans toutes les
écoles : "La maîtrise
de la langue à l'école",
surnommée la "bible rouge" ou le "livre rouge" par
les I.E.N. et maîtres-formateurs. Cette brochure prétend, d'une part, faire le point
des acquis de la recherche en matière d'apprentissage de la lecture et
de récriture et prétend, d'autre part, fournir aux maîtres un ensemble
d'orientations pédagogiques cohérentes. Première chicane : la brochure se présente
dans l'ordre inverse. D'abord, les instructions, puis les références
scientifiques. On tire d'abord. On réfléchit ensuite. Quand on connaît la
manière d'être lecteur des enseignants, on concentre le
maximum d'injonctions (lesquelles vont prendre
un caractère obligatoire, normatif) dans la première partie du texte,
quitte à nuancer dans la
seconde. Nous allons donc prioritairement nous
préoccuper de cette dernière intitulée : LIRE ET ÉCRIRE DES
TEXTES À L'ÉCOLE : DE NOUVEAUX SAVOIRS POUR DE NOUVELLES EXIGENCES (P- 109) Dans l'introduction générale, il est écrit en caractères
gras ; "les élèves Usent et écrivent mieux
aujourd'hui qu'ils ne l'ont jamais fait à âge équivalent" Un court historique montre l'évolution de la méthodologie
de la lecture depuis le début de l'école publique. Les découvreurs : François
RICHAUDEAU et avant lui Émile
JAVAL, Jean
FOUCAMBERT
et l'A.F.L, Rachel
COHEN, Éveline
CHARMEUX ne sont jamais cités. Les pédagogues
emblématiques : FREINET, PROFIT,
DECROLY, KORCZAK...
non plus. Ces grands ancêtres sentent encore le soufre... Le pronom indéfini ON, comme disait mon vieux maître,
qualifie celui qui l'emploie... En page 120, on peut lire une phrase qui met en péril tout
le reste du bel échafaudage "cybernétique" : "On sait
aujourd'hui qu'innovation méthodologique ne peut se diffuser sans se transformer", suivie
déconsidérations sur l'évolution des modèles théoriques et des
conflits de méthodes d'apprentissage. Cependant, selon les oracles du
Ministère, la querelle "méthodes syllabiques - méthodes globales" serait résolue
depuis les années 1930 grâce aux méthodes mixtes ou naturelles.
Affirmation démentie ensuite lorsqu'on parle de celles qui privilégient
le sens (s'adressant à des élèves idéaux que RICHAUDEAU pourrait
nommer les "chinois", et qui ont une approche idéographique de
la lecture) et celles qui mettent en avant la combinatoire morphophonétique
(destinées aux Phéniciens). "Le débat est encore largement
ouvert. " (p. 122), Mais en fait, les instructions placées en
amont l'ont
déjà clos... Et il faudra attendre la page 125 pour que les auteurs
(anonymes) avouent lacunes et inévitables simplifications. Cela aurait pu
être annoncé dans l'avertissement. Mais c'eût été hypothéquer les
instructions et fausser le pro-gramme. Viennent alors le point des connaissances et les questions
en suspens à la question : "COMMENT L'ENFANT APPREND-IL À LIRE ET A ÉCRIRE
DES TEXTES ?" Cet enfant singulier Test
effectivement puisqu'on ne le rencontre nulle part. Or les enseignants ont
affaire, dans la réalité, à des enfants singuliers. Les auteurs masqués nous parient de la précocité des
premières découvertes de l'écrit. Mais dans
la première partie, ils s'opposent à un enseignement précoce de la
lecture au nom d'une nécessaire et préalable réflexion sur la
langue. Vous avez bien lu ; avant de lire et d'écrire, il faut avoir réfléchi.
C'est là nier les activités de pseudo-lecture et de pseudo-écriture des
tout-petits "lisant" et "écrivant" par imitation de
leur entourage et donc concevant avant la lettre qu'il y a
dans ces actes prise et production de sens. Car lorsqu'un enfant de 3 ans
parcourt les pages d'un livre et imagine une histoire d'après ce
qu'il voit (iconographie et typographie) il ne fait pas semblant de
lire. Ce n'est pas pour lui un artifice. Pour lui, il lit. Il sait ce que
lire signifie. Il ne connaît rien encore de la double articulation de la
langue alphabétiforme. Mais il a l'intuition que lire, c'est prélever du
sens. De ce fait, un enfant vivant dans un
environnement de lecteurs et d'écriveurs aura des chances de
devenir plus précocement et plus sûrement vrai lecteur que l'enfant
allaité des journées entières cathodiquement: au sein
d'une famille rivée devant la lucarne. La formule ministérielle se résume
à un paradoxe élégant et bien français : "Il faut comprendre pour
apprendre". Formule si époustouflante qu'elle justifie, en amont
de la brochure, le sempiternel B.A. BA des méthodes synthétiques et du
déchiffrement ! En effet, il faut comprendre que "NOÉMIE NETTOIE LE
LINO" (version traditionnelle du faux texte
décrivant un monde factice) ou que "AMIE ANNIE AU BOIS JOLI
GAMINE LE PINSON" (version moderne et perverse) pour apprendre à
lire... Qui se souvient de son enfance sait
comment il a eu une relation singulière, unique et souvent proprement
magique avec la langue orale, puis écrite. Et la clarté
"cognitive" souhaitée par les auteurs camouflés de la brochure
ressemble fort au Saint-Esprit colombomorphe de nos vieux "Pour apprendre à lire et à écrire, l'enfant doit
d'abord avoir un usage efficace de la langue parlée". Ceci a l'air de bon sens. Mais il s'agit en fait d'un
argument idéologique. Car il faudrait que les auteurs
inconnus nous expliquent comment des sourds-muets apprennent
à lire. Et sans aller chercher des cas extrêmes mais extrêmement parlants,
il suffit de penser aux différentes variétés phonétiques
dialectales d'aujourd'hui et de naguère et qui ne gênent en rien
l'apprentissage de la lecture. J'ai connu pour ma part, en 1986, un enfant de CE1 qui avait
parfaitement appris à lire malgré un bec-de-lièvre très invalidant.
S'il entendait correctement la parole environnante, comment percevait-il
sa propre prononciation essentiellement vocalique ? Or cet enfant
comprenait le sens de ce qu'il lisait
mais avait, en outre, à haute et inintelligible voix, une lecture expressive. Qu'on nous explique comment les musiciens lisent la
musique. On sait qu'ils ne passent pas nécessairement par la réalisation
vocale ou instrumentale. En lisant une orchestration polyphonique, ils
se créent, en leur for intérieur, une représentation, une
"image" mentale de la musique. Qu'on nous explique encore
pourquoi la lecture des nombres sous forme de constellations,
de chiffres arabes ou romains échappe à l'oralisation. Il n'y a que
l'imbécile créé par Jacques BREL pour lire Georges Vé au
lieu de Georges 5... Les auteurs de l'ombre présentent le système alphabétique
comme une création récente de l'Humanité. Sous-entendu : l'alphabet est un progrès
sur le pictogramme, le hiéroglyphe ou l'idéogramme. Or, un quart de
l'Humanité actuelle parle et écrit une langue idéographique. Nous
sommes d'accord pour dire qu'elle est, de prime abord, peu "économique"
: un jeune Chinois doit apprendre à reconnaître et à dessiner près de
2000 caractères de base. Il parviendra jusqu'à 30 000 au cours de l'enseignement
secondaire. L'apprentissage des idéogrammes ne passe pas seulement par
la vue mais par toute une gestuelle. Avant d'être tracé au pinceau, l'idéogramme
est dessiné dans l'espace, donc littéralement in-corporé. Nos maîtres
du CP faisaient certes tracer les lettres latines dans l'espace. Mais ces
lettres sont abstraites alors que chaque idéogramme est porteur de sens. Les
Japonais utilisent les caractères chinois. Ils les combinent et les
prononcent différemment. Le mandarin est un chinois standard. Les
parties des différentes provinces de l'Empire du milieu sont très différents.
Mais ta langue écrite, idéographique, reste compréhensible pour tous
et sert de ciment linguistique. Certains la considèrent même, avec la
langue des signes des sourds-muets,
comme la seule langue universelle possible. Le chinois, comme
la langue
signée, présente surtout l'intérêt
de développer l'hémisphère cérébral
droit (synthétique, analogique, spatial, intuitif global), celui que les
systèmes éducatifs occidentaux ont une fâcheuse tendance à négliger,
celui qui a permis à une science et à une technologie chinoises de se développer
alors que nous étions aux temps barbares. Quand on sait que les Japonais entendent les sons de la
nature non comme des bruits mais comme un
langage, quand on voit les étudiants chinois parler un français presque
parfait alors que tel homme politique ou tel cinéaste perpétue la
tradition de Maurice CHEVALIER en ânonnant un anglais très banlieusard,
quand on constate que la calligraphie est demeurée en Extrême-Orient
un art d'excellence, on est en droit de s'interroger sur la "supériorité"
auto-proclamée du système alphabétiforme. Une phrase de la "bible rouge" (p. 136) mérite d'être
citée; "...lorsqu'un phonème est réalisé dans
un énoncé, il est toujours contaminé par son environnement. " Eh oui, l'articulation du codage
alphabétique, renforcée par l'arbitraire de l'orthographe (fossile de
la langue écrite, la nôtre. Les Espagnols et les Italiens ont réglé ce
compte-là depuis bien longtemps...) rend difficile l'enseignement du
principe alphabétique de notre système d'écriture. Les auteurs sans
nom admettent l'aspect logo-graphique de la première étape d'apprentissage. L'enfant de Maternelle reconnaît le mot maman, papa, Ophélie
ou Wilfried, Christophe ou Adélaïde... Je cite évidemment à dessein
des prénoms où la relation grapho-phonétique est singulièrement chahutée. Mais pour apprendre à reconnaître
2000 mots, ce qui est apparemment possible pour les petits Chinois,
semble au-dessus des forces des petits Européens... On va donc systématiser (dans l'esprit des auteurs : pour automatiser.
Ce mot revient sans cesse et signe bien là le caractère cybernétiste,
pour ne pas dire mécaniste, du texte ministériel) le travail
sur les correspondances grapho-phonies. Ce qui oblige, bien évidemment, à oraliser systématiquement ou à subvocaliser. Après cette étape puis le stade orthographique "...l'enfant
a rejoint le mode d'accès direct aux mots, mais avec une toute autre
efficacité qu'au stade logo-graphique puisqu'il identifie maintenant
non seulement des mots qu'il connaît déjà, mais aussi des mots qu'il
reconstitue à partir de leur structure orthographique sans
avoir besoin de la déchiffrer. C'est l'automaisation
de cette procédure qui, progressivement, libère l'enfant des tâches
d'identification et le rend plus disponible aux tâches de compréhension.
" (p. 138). Oui, mais au prix de quelle mutilation de l'hémisphère
droit ! Carnage évidemment indifférent à nos auteurs en tenue de
camouflage qui sont pour la plupart de serviles cerveaux gauches jusqu'à la caricature... L'approche "globale", dite deuxième voie est
présentée par nos auteurs voilés comme une sorte de fantasme pédagogique,
un scénario cognitif, une fantaisie didactique qui tient en 2 pages
tandis que la première voie a été explicitée sur 3 pages et
demie. Au passage, on a assassiné le concept de lecture rapide en
en faisant non un moyen mais une conséquence de
lecture efficiente. C'est en page 142 que les auteurs sans visage mettent le
pied dans la complexité. Pour apprendre, il faut avoir
compris. Mais il faut apprendre à comprendre : c'est une exigence continue... On est en pleine aporie de la poule et de
l'œuf ! "Le lecteur doit avoir reconnu les objets et les
actions dont le texte parle... "(p. 145) Qui a déjà expliqué à un enfant de 3 ans ce qu'était un
ogre, une sorcière, une fée, une princesse ? Quand on cite la Belle
au bois dormant, qui dort ? En page 147, après avoir jeté le
doute sur les formules de lisibilité (mises au point par qui, où, quand
? Mystère...), les auteurs de l'obscurité font l'éloge des textes
explicites (chargés de relations de subordination) au dépens des textes
elliptiques. Là encore, ils manifestent leur aversion pour l'intuition et
l'analogie, la globalité. Le lecteur est définitivement considéré comme une
machine, un automate lorsque les auteurs souterrains précisent : "En
fonction du but à atteindre..., le lecteur doit être capable de sélectionner
une ou plusieurs procédures dans l'éventail de celles qui sont
disponibles... il doit alors lire selon une procédure choisie et contrôler régulièrement
que les moyens mis en oeuvre sont
conformes aux objectifs poursuivis". Quand on sait la part de rêve, de rêverie, les cavalcades
de l'imaginaire, le rôle des fantasmes, le grain de folie mis EN JEU dans
l'acte de lire, on ne peut être que consterné devant la description mécaniste,
procédurière, froide que nous proposent les auteurs abyssaux. Ce qui ne
les empêche pas de conclure (p. 162) : "La lecture est en
effet une activité mentale dont il n'est pas facile d'objectiver
les manifestations. " C'est que l'effet aile de papillon ne joue pas
seulement dans la formation des cyclones... Chacun s'accorde à reconnaître qu'il existe, à un moment
de l'évolution de l'enfant dans son apprentissage, un effet de seuil.
Tous les mots ne sont pas connus ou re-connus. Toutes les combinaisons de phonèmes n'ont pas été "vues". Et
pourtant, soudainement, l'enfant SAIT LIRE. Et là, demeure le mystère. L'élément déclencheur, celui qui fait passer
le cerveau apprenant à un stade supérieur d'organisation (supérieur
à la somme des mots et des combinaisons intégrés), ce battement
d'aile de papillon
peut être un mot nouveau qui agit comme un code
d'accès sur l'ensemble des connaissances engrangées. Ce peut être une
émotion, un fort désir de réussite suscité par la famille.
Ce peut être une terrible angoisse, la carotte ou le bâton, la naissance
du petit frère, le sourire de la maîtresse. Ce peut être les deux LL du
papiLLon... La "bible rouge" est une
mauvaise action d'un soi-disant ministère de "gauche". Le
samedi 13 Février 1993, vers 19 h 45, un éventuel futur
ministre (de droite) de l'Éducation accusait, une nouvelle fois, en direct, face à la journaliste de TF1 qui semblait
opiner, la méthode globale
de tous les maux. Mais ça
ne suffisait pas. Il ajoutait que les méthodes mixtes sont des méthodes
globales déguisées. Et de citer très vaguement les travaux d'une grande
neurologue de renom mais dont il a pris soin de ne rien dire... Ceci porte un nom
: désinformation. Et nous ne sommes pas loin des errements de
certains "scientifiques" soviétiques... Or, quand on entend ici
et là, souvent, sur le terrain, telle maîtresse de C.P., annoncer qu'on
verra le son MEUH la semaine prochaine, on se dit que de toute cette farce
pseudo-cartésienne est bien triste. En vérité, il s'agit là, comme
toujours d'une farce politique dont les enfants, les enseignants et la
Nation feront, comme d'habitude, les frais. La bibliographie qui clôture la
"bible rouge" est pleine de noms inconnus. Les instituteurs
connaissent RICHAUDEAU, FOUCAMBERT, RÉMOND. Ils ont largement utilisé
leurs ouvrages, leurs outils, leurs manuels. Et ils ont progressé. En
enrichissant leur pratique pédagogique, en la COMPLEXIFIANT. Gageons que les inconnus qui se sont introduits au Ministère
pour y perpétrer un putsch intellectuel ont déjà sous le coude les
livres, outils et manuels qui seront proposés demain sur le marché, avec
en prime, la bénédiction et l'imprimatur de
l'autorité administrative. Un futur ministre n'a-t-il pas déjà condamné
publiquement tout ce qui ressemble de près ou de loin à la méthode
globale ? Au nom d'un cartésianisme dépassé, le système éducatif
français s'enferme frileusement dans un conservatisme exacerbé. Le B.A.
BA est une sorte de monument national comme Jeanne d'Arc, Napoléon ou ...
l'orthographe. Dans ce pays, le discours est considéré comme un sport.
Qu'importé ce qu'il a dit, mais qu'est-ce qu'il parle bien ! Il parie
bien et il présente bien ! Le paraître bien sûr... Quand le Chancelier allemand emmène avec lui à l'étranger
des chefs d'entreprise, le Président français se fait accompagner de
linguistes et d'écrivains. On vend ce qu'on peut. Et quand on ne peut
pas vendre, on fourgue... La méthode naturelle de
lecture,
en fait, la méthode d'aide à un apprentissage
"naturel" de la lecture (et de récriture) a été impulsée par FREINET et systématisée
par lui dans un ouvrage de 1961. Une refonte a été élaborée coopérativement
en 1980. On comprendra, en découvrant ses caractéristiques, pourquoi
elle choque l'administration et comment elle heurte des intérêts
commerciaux et corporatistes. La méthode naturelle n'isole pas la lecture
des autres activités scolaires. Elle est donc trans-disciplinaire. La transdisciplinarité, tout le monde est pour. En théorie.
Car dans la réalité, cela fait vraiment désordre. Or, ce pays aime
l'ordre. C'est une méthode globale qui part DES PHRASES DES ENFANTS. Elle
possède donc en soi le germe de la disparition des manuels. Or,
il s'agit là d'un marché juteux que personne ne veut voir disparaître... C'est une méthode idéo-visuelle. Elle s'oppose donc
au B.A. BA national. C'est enfin une méthode coopérative qui
suppose une intense vie de groupe fortement régulée. Or il vaut mieux,
dans ce pays, être un maître victime de potaches indisciplinés qu'un maître
incitant les enfants à la responsabilité démocratique c'est-à-dire
formant de futurs contestataires... La méthode naturelle de lecture suppose un engagement total
du maître qui travaille sans filet. L'absence de manuel est suspecte aux
collègues, aux parents, aux élus... La création coopérative de ses
propres outils par la classe dérange plus qu'elle ne rassure. On n'écrit
pas pour rien. Il faut des lecteurs. On va donc se lancer dans l'édition
d'un journal et/ou la correspondance scolaire. Autant de verges pour se
faire battre... L'expression libre des enfants est quelquefois explosive. Toutes ces réserves étant émises, si on se lance, prudemment mais sûrement, dans l'aventure, quelles joies, quelles surprises, quelles découvertes !
Michel
DEBRAY Pour en savoir un peu plus sur la Méthode globale A propos de la querelle et du diktat de De Robien (2006), des points de vue différents
______ EXPÉRIENCE Au début de ma carrière (1965), institutrice sur le
"tas" - donc sans formation par l'École normale -
je fus affectée en maternelle. Durant trois ans, j'appris avec les
enfants à me débarrasser
de mon langage de classe de philo, à soupeser leur
temps d'attention, à constater avec émerveillement leur capacité créatrice. Après de multiples remplacements, je fus ensuite nommée
dans une école publique rurale à deux classes. J'avais la
"petite" classe, donc plusieurs cours, delà Section Enfantine (à
partir de 4 ans) jusqu'au CE1, En maternelle, comme il n'y avait
pas de programmes précis, j'avais pris l'habitude de me servir de
livres et non de manuels. Je me lançai ainsi dans le primaire, avec
pour seul support, mon expérience des enfants, des références
constantes à des ouvrages
de psychologie enfantine ou de recherche en pédagogie. J'avais aussi dans
ma classe
ma fille de 4 ans qui commençait avec moi sa scolarité puisqu'à cette
époque, les villages étaient dépourvus de classes maternelles. En
outre, je rencontrais fréquemment des collègues auprès
desquels je m'enrichissais professionnellement. J'avais équipé ma classe
d'une
imprimerie avec des polices de caractères différents et une presse à
volet, divers ateliers d'expression : peinture, dessin, danse ... comme en
maternelle. Une enfant, le premier jour de classe gribouilla sur
une feuille de papier. Puis, elle vint me présenter son travail en me disant
qu'elle avait écrit son nom. Plusieurs l'imitèrent. Un autre
lui demanda : - Tu t'appelles Sylviane comment ? Alors, certains écrivirent leur nom et leur prénom en séparant
leur gribouillis par un blanc. Puis Sylviane
dessina un soleil pour signaler son prénom. Des pictogrammes naquirent
ainsi peu à peu pour personnaliser chacun de nous. Certains noms ou
prénoms présentant une identité phonique partielle, les enfants
éprouvèrent le besoin de noter cette identité en ajoutant à leur pictogramme
respectif un signe commun. J'ai appris que la langue japonaise procède un
peu de
cette façon. Certains enfants se retrouvèrent donc désignés par un
pictogramme plus complexe (2 signes). Il y eut des moments de recherches longues et
fructueuses. Il y eut des stagnations et nous abrégions notre temps de réflexion.
En décembre, nous avions inventé de toutes pièces un code
graphique tout à fait singulier et inédit. Je remarquai que les caractères
graphiques s'épuraient pour rendre plus rapide la communication et
plus commode la
reproduction du signe
par les autres. On voit immédiatement ici l'aspect sociabilisant
de l'acte d'écrire. Nous savions désormais écrire nos
textes et avec notre code, nous savions les lire. Parallèlement, certains
enfants allaient à l'imprimerie composer et tirer des textes illisibles
car les lettres furent d'abord juxtaposées aléatoirement
dans le composteur, puis des groupes furent séparés au gré de
l'intuition, de la fantaisie et de la recherche. Mais, là encore, chacun
de nous savait ce que ces textes voulaient dire puisque, oralement,
leurs auteurs en exprimaient le sens. Deux systèmes
co-existaient donc : -l'un, idéographique, porteur immédiatement de sens, - l'autre dont le sens était porté immédiatement par
l'oral et imaginairement transmis par le support
apparemment inintelligible des lettres de l'alphabet typographique. En fin de trimestre, personne ne lisait au sens où l'on
entend généralement au cours préparatoire et pourtant chacun écrivait
et lisait, donc produisait et prélevait du sens. Puis la classe éprouva
le besoin de conserver sa propre mémoire de groupe pour que ce que nous
disions reste, laisse des traces. Les enfants avaient bien vu que
l'imprimerie permettait cette mémorisation et cette diffusion du sens. Mais comment
imprimer nos textes puisque les signes typographiques étaient
différents de nos pictogrammes inventés ? Il fallait passer de
l'invention en
circuit fermé au code conventionnel du monde adulte. La classe (et moi-même
!) en ressentions le besoin. J'intervins dans ce sens. Cela ne
posa de problème puisque nous avions codé et décodé du sens et des
signes tout au long de nos recherches. Le second trimestre fut un vrai commerce affectif avec
les mots. - Bien sûr que c'est le mot garçon, puisqu'il a un zizi. (la
cédille) - Ça, c'est locomotive; tu as vu, il y a plein de
roues ! Les jeux sur les mots se succédaient
: homonymies, homophonies, homographies, innombrables
pièges inhérents à la langue française. Cependant ces traquenards n'étaient
pas considérés comme dangereux mais comme supports à une multitude
d'activités ludiques sur le A
la fin du second trimestre, tout le monde, sans
exception savait lire. Les tout-petits, comme
ma
fille, m'apprirent beaucoup par leur façon d'intégrer nos recherches ou
d'intervenir dans nos apprentissages. J'emploie le possessif pluriel
car je n'avais jamais vraiment appris à enseigner la lecture et
j'apprenais avec les enfants au fur et à mesure qu'ils s'appropriaient le
monde
de l'écrit. Ils apprenaient en maniant avec bonheur le langage. Moi, je
les observais et les aidais lorsqu'ils se heurtaient à des
difficultés. Ni les uns ni les autres n'avions l'impression de perdre
notre temps ou de nous ennuyer. Pendant quatre ans, je n'ai jamais ressenti la moindre
angoisse. Étais-je naïve ? Au sens étymologique, oui. Je venais,
d'une certaine façon, de naître... Les parents, peut-être
inquiets au début, avaient été rassurés par la réussite et donc nous
avaient laissé
libres. La découverte fortuite de la MÉTHODE
NATURELLE DE LECTURE de FREINET me conforte dans mon expérience qui recoupait celle
du pédagogue. La cinquième année, j'étais enceinte et devais
accoucher en novembre 1974. Je me décidai donc à faire le choix d'un manuel pour ne
pas laisser ma remplaçante dans rembarras. Dès la rentrée, le
SABLIER fut introduit dans la classe. Phénomène de mode peut-être
et puis je pensais que ce manuel était proche de ce que nous faisions
d'ordinaire. À mon retour de maternité, je me posais des questions
sur la nécessité d'un manuel de lecture car certains enfants qui
semblaient prédisposés en Section enfantine présentaient des troubles
dans leur apprentissage au C.P. Était-ce dû au manuel ? A l'inexpérience de ma toute
jeune collègue ? À la perturbation qu'entraîne trop souvent un
changement de maître ? Je sais simplement que durant les quatre premières
années et les trois qui suivirent, les enfants apprirent à lire sans
problème. Je ne sais pas vraiment comment cela se fit mais je sais dans
quelle ambiance de liberté ET de rigueur nous travaillions. J'ai
cru comprendre alors que les manuels de lecture n'étaient pas de
vrais livres car les vrais livres racontent de vraies histoires pour de
vrais enfants. Au mieux, les manuels et leur méthode ne donnent que des
embryons d'histoires aussi frustrants que les petits
bouts de films que dispense la télé lorsqu'elle veut rendre hommage à
un acteur disparu. Pourtant, quelquefois, en faisant appel aux souvenirs, je
me demande avec angoisse pourquoi je n'ai pas connu d'angoisse...
Si j'avais connu l'inquiétude, aurais-je fait ce cheminement un peu
fou mais tellement gratifiant N'étant plus depuis plusieurs années à cette position stratégique qu'est le Cours préparatoire, j'ignore si je serais encore capable de retrouver - au sens premier - une telle innocence... Danielle DEBRAY (1983)
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LE CHINOIS, c'est de l'hébreu !
"La perception ou l'appréhension est le modèle essentiel pour l'existence de l'esprit, mais pour qu'il y ait quelque chose dans le monde qui puisse produire cela, c'est ce que nous pouvons appeler la spiritualité inhérente à la matière." Pour un tel énoncé, il ne fallait à ZHU XI (XIIème siècle) que quatorze mots : SO JIO ZHE XIN ZHI LI YE ; NENG JIO ZHE, QI ZHI LING YE. "En d'autres termes, la fonction de l'esprit est parfaitement naturelle, c'est quelque chose que la matière a pouvoir à produire, une fois qu'elle s'est elle-même ordonnée à un niveau de structure et d'organisation suffisamment élevé."
d'après Joseph NEEDHAM, dans LA SCIENCE CHINOISE ET L'OCCIDENT - Points Sciences - 1969 Et cette citation est remarquablement actuelle puisqu'elle est en résonance avec la déclaration d'Henri ATLAN citée ici
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