POUR L'ÉCOLE

100 PRINCIPES POUR L'ÉCOLE - Plan

GENÈSE D'UN LIVRE - Ré-écriture d'un entretien avec Edgar Morin - LE CANTIQUE DES CANDIDES  - 

PRINCIPES ISSUS DE LA THERMODYNAMIQUE PRINCIPES ISSUS DE LA BIOLOGIE - PRINCIPES ISSUS DE LA SYSTÉMIQUE

PRINCIPES ISSUS DE LA NEUROBIOLOGIE - NÉCESSAIRE ÉMERGENCE DE NOUVELLES VALEURS PRINCIPES PÉDAGOGIQUES

PRINCIPES ISSUS DES CONSULTATIONS NATIONALES - DE L'AMOUR

 

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PRINCIPES ISSUS DE LA THERMODYNAMIQUE

 

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1 - RIEN NE SE PERD, RIEN NE SE CRÉE, TOUT SE TRANSFORME. TOUT PEUT SE TRANSFORMER.

L'ancienne buanderie de l'école de campagne peut devenir une B.C.D. (Bibliothèque, centre de documentation) fonctionnelle, l'ancienne classe peut se transformer en salle de motricité, atelier informatique ou lieu théâtral, etc... Globalement, l'École n'a rien perdu en énergie injectée depuis trente ans. Au contraire... L'énergie, ce sont les moyens matériels, financiers, humains. Pour d'obscures bonnes raisons, une bibliothèque peut avoir été confinée dans un couloir étouffant, l'audiovisuel peut avoir été réduit à un diascope calamiteux dans une grande salle sans âme, et le coffre de cartes de géographie peut être devenu un somptueux vivarium pour arachnides !

Si l'on n'a pas pris soin, chaque année, de dresser un état des stocks, on a peut-être renouvelé de façon mécanique une commande de matériel de fonctionnement qui n'a plus rien voir avec les besoins réels. Ainsi se dressent des falaises de craies là où on s'est converti au tableau blanc et aux feutres secs, voire à la rétro-projection. Ainsi trouve-t-on dans les greniers et remises des tonnes de documents et revues dont on peut parier qu'ils n'ont jamais été lus.

H convient donc de visiter la classe dont on devient le maître ou l'école dont on vient d'obtenir la charge, avec un oeil de brocanteur. Aller partout, dans les moindres recoins. Avant d'aller rencontrer le maire en faisant - déjà ! - la manche. Un maire et un instituteur, ça se jauge et ça se juge pendant l'indispensable inventaire de la prise de fonction.

Avec le temps, le vieux manuel de grammaire devient objet d'histoire, le cahier du jour de l'écolier d'avant-guerre est un émouvant document et le boisseau de grains, véritable schmilblick des arts et traditions populaires.

L'École publique est en danger. Elle sera désintégrée peut-être quand paraîtront ces lignes. Quoi qu'il en soit, demeureront des écoles. Qui devront avoir une âme. Les écoles doivent redevenir des lieux de vie, non des voies de passages obligés. L'école doit donc retrouver son passé, ses racines, ses traces. Bien sûr, il faut jeter les scories de chaque année scolaire. Mais, en même temps, il faut enrichir le musée de l'école et la partie "histoire locale" de la bibliothèque-centre documentaire.

2 - L'ENTROPIE MESURE LA DÉGRADATION D'UN SYSTÈME ÉNERGÉTIQUE. L'ENTROPIE INÉLUCTABLE SIGNE L'IRRÉVERSIBILITÉ DES SYSTÈMES RÉELS : C'EST L'ÉCOULEMENT DU TEMPS.

MAIS VIVRE, C'EST PRÉCISÉMENT LUTTER CONTRE L'ENTROPIE.

Tout se dégrade depuis quinze milliards d'années, depuis le Big Bang. Tout fout le camp. A la vitesse de la lumière, c'est dire ! Les galaxies s'éloignent les unes des autres. Des soleils se ratatinent en naines blanches. Bref, dans le vaste Univers comme dans notre pauvre vallée de larmes le niveau baisse!

Fatigue, usure, ressassements sempiternels. Accélération de l'Histoire, phénomènes de sociétés qui ont davantage transformé les comportements des individus, des groupes et des masses en cinquante ans qu'en cinq siècles passés. Notre École est terriblement nostalgique de F avant-guerre. Même les plus jeunes enseignant(es) semblent se référer à ce qui paraissait splendide adéquation entre un peuple et son système éducatif.

Mais nous voici dans l'ère des turbulences. Qui ça, nous ? Nous, les enfants du baby-boom. Filles et fils du peuple, bons et moyens élèves devenus contestataires l'espace d'un printemps. Aujourd'hui, effrayés par les innombrables couleuvres que nous avons dû avaler de la part d'une gauche politicienne totalement cynique, nous revenons aux pseudo-valeurs sûres de nos grands ancêtres. Mais, tandis qu'ils se voulaient les fantassins de la Raison, de la Science et du Progrès, nous errons le samedi après-midi dans les hypermarchés de la consommation que nous dénoncions jadis... Les hussards noirs de la République sont abonnés à la CAMIF.

En moins de vingt ans, les enfants, notre public, ont pris les couleurs de la world-music. Métissage. Métier à métisser... Mais, sur l'impulsion délicieusement surannée de bon-papa CHEVÈNEMENT, nous nous entêtons à faire chanter aux chères têtes blondes Ahmed et Vanessa, Cindy et Ali, Kévin et Roxane, Justin et Samira, Dimitri et Samantha "Vous dirais-je Maman ?".

3 - POUR QU'IL Y AIT RENDEMENT, IL FAUT QU'IL Y AIT DIFFÉRENCE DE POTENTIEL, C'EST-À-DlRE HÉTÉROGÉNÉITÉ.

D s'agit là du principe de CARNOT. Attention, hétérogénéité ne signifie pas désordre moléculaire
absolu. Un seau d'eau chaude brutalement jeté dans un bassin d'eau froide produit une grande et fugace
agitation, beaucoup d'évaporation puis un mélange inerte d'eau tiède. Il ne peut y avoir travail que si
deux systèmes différents communiquent entre eux par un ou plusieurs canaux, Pour être utilisable,
l'énergie doit être canalisée, régulée. C'est donc sur ces deux conduites qu'on placera les turbines
productrices d'électricité.

 Cela veut dire que l'école, qui est un système complexe, à la fois fermé sur lui-même, isolé, et en relation avec un monde extérieur, doit jouer sur SA propre différence, sa propre singularité et sur la diversité interne des éléments qui la constituent. Tant au niveau du groupe-classe que de l'ensemble scolaire ou de l'équipe pédagogique, le rendement, l'efficience ne peuvent pas plus exister dans le mélange explosif que dans l'homogénéité tiédasse et donc mortelle du prétendu "juste milieu". Un équilibre stable est sans vie. Un équilibre est forcément instable, précaire, dynamique, installé de guingois sur la lame du Temps.

Il ne peut s 'agir pour les éducateurs de se cramponner à un tronc arraché par un raz-de-marée, mais de SURFER SUR LA VAGUE, AVEC LES ENFANTS, en évitant les naufrages.

4 - L'ÉNERGIE PEUT ÊTRE STOCKABLE OU NON, ACTUELLE OU FOSSILE, INDIGÈNE OU IMPORTÉE, SOUPLE OU SPÉCIALISÉE, PROPRE OU SALE, DURE OU DOUCE.

Appliquons ces constatations à la vie de l'école. L'énergie, c'est bien ici celle qui résulte de la volonté, des savoirs et savoir-faire de tous les acteurs, enfants compris, de la geste pédagogique.

ÉNERGIE STOCKABLE

II est évident que si Ton doit chaque fois redécouvrir, réinventer, redéfinir chaque instant, on perd une force considérable. C'est pourquoi la mémoire morte du groupe-équipe, de F équipe pédagogique, de l'école et plus généralement de l'École-institution, cette mémoire morte constituée d'archives de toutes sortes, de traces iconographiques sur les supports les plus variés, de protocoles divers, de documents irremplaçables, etc... doit être indéfiniment enrichie d'informations systématiquement mises à jour sous peine de voir augmenter l'entropie.

Et l'entropie, à l'école, c'est très concrètement la poussière, l'ennui et, au bout du compte, l'inefficacité. On voit bien en cette occurrence le rôle essentiel de l'informatique à l'école et ce que devrait être sa place dans la formation des maîtres. Si on prend la peine de lire les registres où sont consignés les comptes-rendus des différents conseils, comités et autres commissions relatives à la vie scolaire, on s'apercevra toutefois que la mémoire peut être sélective, par endroits volatile ou tout simplement falsificatrice. Nous ne sommes plus ici dans le domaine de l'éducation mais dans celui de la morale politique. Il n'y a pas de différence de nature entre le rédacteur timoré d'un rapport mensonger et le retoucheur stalinien de photographies interdites par la censure. Il s'agit ici de la même et ignoble veulerie.

ÉNERGIE ACTUELLE OU ÉNERGIE FOSSILE

Dans ce pays, il est traditionnel de déclarer aux nouveaux, aux bizuts, aux débutants, à ceux qui débarquent :

- Empressez-vous d'oublier ce qu'on vous a enseigné jusqu'ici.

Il s'agit là de l'expression imbécile d'un corporatisme consternant. Bien au contraire, la logique de l'efficacité exigerait qu'on prenne appui sur le bagage de connaissances, de savoir-faire et tours de main acquis précédemment, pour installer sur des fondations qu'on élargira au besoin la base puis les étages successifs de l'édifice de la personne.

On ne dit pas forcément les choses de façon si abrupte mais le comportement des nouveaux magisters revient à déprécier ou à faire oublier le passage dans le cycle supérieur. Récemment le pouvoir politique a clamé sa volonté de remédier à cette succession de brisures dans le cursus scolaire de la Maternelle au Lycée. Mais il y a loin des déclarations d'intentions aux décrets d'application et a fortiori aux indispensables passages aux actes qui transforment effectivement le cours des choses. Du passé, même embelli, même mythique, sachons retenir les meilleures leçons. Les outils de la mémoire institutionnelle de notre école doivent nous y aider..

ÉNERGIE INDIGÈNE, IMPORTÉE, SOUPLE, SPÉCIALISÉE, PROPRE, SALE, DURE OU DOUCE.

Pour le reste, il va de soi que les expériences ne doivent pas être parachutées. Les oukases, les décrets ne sont utiles que lorsque l'autorité a su développer, conserver et même enrichir son crédit. Il faut parfois faire preuve de volontarisme. L'urgence autorise certains excès. On ne peut tergiverser face au péril. Ou poussé par un impérieux désir d'action. Il convient cependant que, très vite, ceux qui se lancent dans un "coup", une expérimentation, un pari établissent un contrat clair avec leurs partenaires et s'engagent à assumer toute la responsabilité de leurs actes. De la même façon, il doit être permis d'être "sale" lorsqu'on s'est engagé à rendre les lieux aussi propres qu'auparavant. II faut parfois se souvenir de l'extrême"propreté" des nécropoles et de la discrète patine de crasse qui est souvent le signe de la vie. La lune n'est ni propre ni sale. Elle est inerte.

De tout cela, il ressort la nécessité, à côté d'une pratique pédagogique "habituelle", tous terrains, minimale, généraliste, d'une praxis qui s'apparente à la recherche, à l'expérimentation et qui doit dans tous les cas être basée sur un contrat et menée selon un protocole.

Ne retrouve-t-on pas ici la notion à peine déguisée de projet introduite par le pouvoir politique par la Loi d'orientation de 1990 ? C'est bien possible...

Malheureusement, entre la lettre de la Loi et le dévoiement ultérieur de son esprit par les "interprétations libres" de certains fonctionnaires et la mauvaise répartition des moyens mis en oeuvre, le "projet" a perdu toute crédibilité.

Le "projet" ministériel est devenu, sur le terrain, exercice de style, rituel administratif purement formel, manifestation schizophrénique d'un appareil énorme, monstrueux, macrocéphale (l'administration) et dont l'organisme est paralysé par l'incohérence des ordres, contre-ordres, hésitations sempiternelles, inhibitions corporatistes, usures des rouages.

À la complexité des questions que pose la réalité doit s'opposer la complexité des réponses.

Que voyons-nous en cette fin de millénaire ? Des situations d'une extrême complexité reçoivent des traitements obsolètes, disproportionnés (soit par défaut : par exemple le chômage; soit par excès : par exemple, le tabagisme), en tous cas inadaptés.

Pour tirer une charrue, un bœuf c'est bien, un cheval c'est encore mieux, un tracteur c'est presque parfait. On sait ce que vaut mettre la charrue avant les bœufs. On n'imagine pas une fourmi attelée à une charrette (ça n'existe pas ! disait DESNOS), pas plus qu'un dinosaure.

C'est pourtant ce qu'un enseignant peut constater chaque jour, ici ou là.

Ici, on s'échine depuis des années dans l'indifférence et la pauvreté ; là, on est doté de moyens exorbitants pour enfoncer des portes ouvertes...

L'institution politique ayant défini les principes fondamentaux de l'éducation nationale et de l'instruc­tion publique, l'École-institution ayant élaboré des programmes doit apporter à tous le maximum d'informations notamment concernant les derniers développements de la recherche en psychopédagogie et de tous domaines susceptibles d'intéresser l'éducation.

Ensuite, on doit donc laisser à chaque école, au sein de son propre milieu, confrontée à une complexité palpable, mesurable, définie parce que locale et localisée, la liberté de mettre au point ses projets, ses contrats, ses protocoles, ses modalités d'évaluation et ses calendriers. Cela, bien sûr, en conformité avec les objectifs nationaux, supra-nationaux et la réalité juridique du moment. L'institution est alors en droit et en charge de contrôler la réalité du travail ainsi que ses effets positifs ou ses déviances.  

Cela veut dire que l'école, qui est un système complexe, à la fois fermé sur lui-même, isolé, et en relation avec un monde extérieur, doit jouer sur SA propre différence, sa propre singularité et sur la diversité interne des éléments qui la constituent.

Tant au niveau du groupe-classe que de l'ensemble scolaire ou de l'équipe pédagogique, le rendement, l'efficience ne peuvent pas plus exister dans le mélange explosif que dans l'homogénéité tiédasse et donc mortelle du prétendu "juste milieu". Un équilibre stable est sans vie. Un équilibre est forcément instable, précaire, dynamique, installé de guingois sur la lame du Temps.

 

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ANTHROPO-PÉDAGOGIE

THÈSE 1

Seule l'anthropo-cosmologie (c'est-à-dire une perspective éclairant l'ensemble des sciences de l'homme et de la nature, posant leur problématique) peut constituer la clé de voûte des nouvelles humanités.

THÈSE 2

Une nouvelle pédagogie de la personne doit être instituée. D'où quelques principes :

1 - L'anthropo-pédagogie ne doit pas être le couronnement terminal (classe de philo) du secondaire, mais il doit être le principe interrogateur d'où rayonne l'enseignement de l'instituteur.

2 - Un enseignement fondé sur l'analyse de la pensée et l'élucidation du vécu doit être entamé dès l'éducation primaire et être poursuivi sans relâche tout au long du cycle pédagogique.

a) L'analyse de la pensée, c'est non pas l'étude de la logique formelle mais de la logique réelle, qui permet de reconnaître les mécanismes psycho-affectifs-magiques présents dans tous nos discours. L'analyse de pensée doit tenir la place centrale qu'occupe l'explication grammaticale et esthétique des textes dans le système des humanités classiques.

b) L'élucidation du vécu implique l'enseignement d'une phénoménologie du monde moderne et de la vie quotidienne, qui doit être un exercice improvisé au jour le jour, où l'enseignant interrogerait les évènements pour tenter d'en dénoter le sens (du coup, il n'y aurait plus de cloison étanche entre culture de l'école et culture des mass-médias, mais élucidation de l'une par l'autre).

3 - La formation de la personne doit être tentée, non par l'endoctrinement moral, mais par l'effort continu pour développer un nouvel égo lucide (la tierce-personnalité).

D'après Edgar MORIN 

LE VIF DU SUJET - SEUIL - 1969

 

IL VAUT MIEUX AVANCER EN DÉSORDRE QUE PIÉTINER DANS L'ORDRE.



Il faudrait pouvoir dire qu'il suffit de mettre en place les recettes institutionnelles classiques pour que peu à peu, mais à coup sûr, s'instaure le règne de l'esprit coopératif.

On peut le dire. On doit le dire... Car cela a à voir avec la méthode Coué.

Et insister sur le nécessaire matérialisme scolaire cher à Célestin FREINET tant il est vrai que l'installation de pendules, d'une rose des vents ou d'un meuble de rangement vaut infiniment mieux qu'un long discours sur la structuration spatio-temporelle des uns et des autres.

Pour passer de l'ordre ennuyeux des nécropoles pédagogiques à la complexité désordonnée de la vie bouillonnante, sans pour autant tomber dans le chaos, il convient de mettre en place des structures que, par commodité, nous nommerons coopératives.

Une horloge, une corbeille à papier, un meuble adapté à une fonction, un planning, une photocopieuse sont-ils intrinsèquement coopératifs ? En vérité: non !

La coopération naît de la nécessité ou de la contrainte de vivre et de travailler ensemble, et autant que possible, dans un bonheur relatif. On peut décider de cohabiter sans joie, sans projet commun, comme des oeufs dans une boîte. Chacun pour soi et Dieu pour tous !

En ce cas, point n'est besoin de structures coopératives. Un bon atelier d'arts plastiques est plus efficace et moins onéreux que dix classes pseudo-polyvalentes où l'on essaiera vaguement de peindre ou de modeler. Certains outils présentent un profil bas d'utilisation. Un pupitre d'écolier sert à lire, écrire, compter, poser son cul, graver son nom, se fabriquer une scoliose. Peu coûteux, il est aussi moins nettement spécialisé qu'un chevalet de peintre ou qu'une paillasse de laboratoire.

C'est pourquoi il est utile de créer des lieux spécifiques ouverts à tous : salle audio-visuelle, salle informatique, bibliothèque, médiathèque pédagogique pour les maîtres, etc... L'utilisation rationnelle des outils et des lieux en commun (c'est cela le décloisonnement : des cloisons morales ou physiques qui tombent !) supposent une organisation, laquelle implique la concertation entre les membres de la communauté scolaire.

À ce niveau, le chef d'établissement est l'exécutif de cette micro-société. C'est évidemment dans l'exercice du législatif que la coopération trouve à se manifester le plus.
Mais les pré-textes (au sens premier) ne sont pas forcément austères et rigoureusement pédagogiques ou didactiques. Préparer le café quotidien, surveiller la récréation, organiser telle sortie, régler des détails de la fête de fin d'année, étudier les catalogues pour fixer les futures commandes de matériel, toutes ces choses triviales contribuent à développer les institutions et l'esprit coopératifs qui s'opposent dans tous les cas à l'appétit de pouvoir des uns et à l'inertie et au renoncement des autres. La question à laquelle il faut réfléchir mais se garder de donner une réponse définitive est la suivante:

Qui, dans une classe, un établissement, une entreprise voire un état, impulse la coopération, c'est-à-dire la démocratie ?

Il faudrait pouvoir dire qu'il suffit de mettre en place les recettes institutionnelles pour que, au-delà des personnes, se pérennise l'esprit coopératif.

Or nous savons tous que ce frêle édifice est fragile, nous connaissons les déviances, les dérives institutionnelles, les cancers subtils et insidieux qui s'installent avec la routine, les mutations infimes dans la trame du quotidien.
Nous savons comment ce qui était innovation devient habitude puis réitération imbécile des mêmes gestes. Cela signifie que tout système doit susciter, sécréter ses propres vigilances, ses gardes-fous, pour tout dire, sa conscience.

La profération des grands idéaux n'est rien. Le travail organisationnel minutieux, quotidien est inutile s'il n'existe un contrôle permanent des finalités de la coopération. Attendre des membres de la communauté la nécessaire franchise est utopique. Ne compter que sur sa propre vigilance et sa "grande âme" est présomptueux. Le système doit instituer sa Cour Suprême, son Conseil des Anciens, sa Cour des Comptes, son Comité des Sages, son Maître du Temps et son Satrape des saintes colères, son Conservateur du Non-dit et son Ordonnateur des émotions. Non pas avec la gravité creuse qui sied aux sectes pontifiantes mais à la manière des jeux de rôles dont se délectent les enfants.



Michel DEBRAY, pour Animation & Éducation
- O.C.C.E. - (Office central de la Coopération à l'école)

n° 102 - Mai-Juin 1991

 


DIDACTIQUE

Dans les années cinquante, un livre de géographie de Cours moyen présentait comme farfelue la théorie de WEGENER sur la dérive des continents. On sait depuis, grace à l'étude de la tectonique des plaques, que les contours complémentaires de l'Afrique et de l'Amérique n'étaient pas le fait d'une coïncidence.

La réalité de l'Univers évolue avec le Temps. Notre connaissance de cette réalité aussi. " aura fallu plus de quatre siècles pour que l'Église catholique réhabilite GALILÉE.
Peut-on se contenter d'enseigner un savoir incomplet, infirme, erroné, tronqué, simplifié ou simplificateur?
Les Textes officiels répondent oui et parlent, en éducation civique, de patrie, d'unité et d'identité nationales en oubliant, par exemple, la situation concordataire des départements d'Alsace-Lorraine et en feignant de considérer les Kanaks comme des citoyens français de plein droit.

Un atlas peut rapidement devenir obsolète, c'est-à-dire objet historique. Dès lors, ce ne sont pas des connaissances émiettées qu'il convient d'étudier, mais l'émiettement des connaissances.

En d'autres termes, il vaut mieux dangereusement baser une culture dynamique sur une incertitude conforme à la réalité que d'installer un pseudo-savoir figé sur de fausses certitudes.

Les fausses certitudes font le lit de toutes les tyrannies.



DIDACTIQUE.

Question à de petits CE2 normands, à propos d'un judas de porte, ou de l'expression un baiser de Judas, ou du picardisme : du bren de Judas qui désigne les tâches de rousseur:

- C'était qui Judas?

- C'était la femme de Jésus!

Bouleversement brutal de cultures millénaires... Comment pourront-ils alors appréhender des locutions aussi exotiques que tomber comme Mars en carême, être renvoyé aux calendes, c'est pain bénit, c'est la croix et la bannière, coiffer Sainte-Catherine ?

Pouvons-nous répondre que nous nous en lavons les mains ?