POUR L'ÉCOLE

100 PRINCIPES POUR L'ÉCOLE - Plan

GENÈSE D'UN LIVRE - Ré-écriture d'un entretien avec Edgar Morin - LE CANTIQUE DES CANDIDES  - 

PRINCIPES ISSUS DE LA THERMODYNAMIQUE PRINCIPES ISSUS DE LA BIOLOGIE - PRINCIPES ISSUS DE LA SYSTÉMIQUE

PRINCIPES ISSUS DE LA NEUROBIOLOGIE - NÉCESSAIRE ÉMERGENCE DE NOUVELLES VALEURS PRINCIPES PÉDAGOGIQUES

PRINCIPES ISSUS DES CONSULTATIONS NATIONALES - DE L'AMOUR

 

***

 

PRINCIPES ISSUS DE LA SYSTÉMIQUE

lien annexe : communication et information

 

***

"Un système est un ensemble d'éléments en interaction dynamique, organisé en fonction d'un but."  - Joël de ROSNAY - LE MACROSCOPE 

 

COMPOSITION D'UN SYSTÈME.

 

Selon J. FORRESTER, un système présente des aspects structuraux et des aspects fonctionnels. Appliquons ces concepts à l'école, comme établissement scolaire, ou à l'École, comme institution dont le triple but est d'instruire, d'éduquer et de former.

- Aspects structuraux :

Le système est cerné par une limite, une frontière qui le distingue de son environnement. Il est constitué d'éléments qui sont, entre autres, les agents du système.

Il possède des réservoirs ; ici, il s'agit de mémoires informationnelles (textes et instructions, archives, documentation, masse de connaissances et de savoirs, etc...), de réserves financières, de biens meubles et immeubles, etc...

Il existe un réseau interne de communication et des liaisons externes avec l'environnement.

- Aspects fonctionnels :

Le système connaît des flux d'information, d'énergie, de travail, de personnels, d'argent. Il est doté de vannes que sont les différents centres et niveaux de décision : c'est la hiérarchie et l'ensemble de l'administration et de ses agents. Ce sont aussi des organismes internes ou satellites attachés au système.

Un système agit et réagit selon des délais ou temps de réponses plus ou moins importants.

Il existe entre les différents éléments du système des boucles de rétro-action. L'exemple classique de la boucle de rétro-action, c'est le thermostat : la chaudière est assujettie à un thermomètre qui la stoppe dès que la température souhaitée (20°, par exemple) est atteinte. La chaudière ne fonctionnant plus, la température s'abaisse. Dès que la température minimale choisie par l'utilisateur est atteinte (18°), le thermostat déclenche à nouveau la chaudière. H y a là régulation et stabilité. La variation de la température est de 2°. Les nouvelles données corrigent les effets des données précédentes et régulent le système. On dit que la boucle de rétro-action est négative car le thermostat réagit en stoppant ou en activant la chaudière.

Une boucle de rétro-action est dite positive lorsqu'il y a renforcement et cumulation des effets. C'est la cas sur une péniche qu'on souhaite garder dans l'axe du canal. Or, un bateau de ce type réagit lentement au coup de barre. À droite, par exemple. Le pilote inexpérimenté, inquiet de l'absence de réponse de la péniche, va virer davantage. Quand le bateau amorcera son virage, le pilote va s'apercevoir que sa correction a été trop violente et que le bateau désormais tourne vers tribord et s'écarte résolument du cap. II va vouloir compenser en mettant la barre à gauche toute. Le bateau va donc faire un virage brutal et entamer une série de zigzag qui risquent de l'entraîner vers un échouage. La solution, c'est de stopper et de retrouver posément le cap.

Une réponse violente à la question de la violence a toutes les chances de provoquer une escalade et, par conséquent, un drame. À une action violente doit répondre une action non-violente proportionnelle. Le problème, c'est que la violence est facile, rudimentaire, entropique. Au contraire, la non-violence est difficile à concevoir, elle exige une intelligence, elle va dans le sens de la complexification. Elle est néguentropique. (Voir Entropie)

Supprimez tous les jeux dans une cour de récréation et vous devrez exercer une surveillance de tous les instants. Cela n'empêchera pas les brutalités et les accidents. Aménagez votre cour, avec les enfants. Mettez au point, avec tous, une série de règles d'utilisation des installations, confiez à des responsables volontaires ou élus le soin de réguler les premiers conflits et vous pourrez aller boire votre café en toute quiétude.

L'autonomie suppose une extrême organisation. Elle ne se décrète pas. Conséquence de votre laxisme, l'autonomie des enfants porte un nom : la pagaille.

"FREEDOM, NOT LICENCE". C'était le titre d'un livre d'Alexander NEIL, pédagogue libertaire de Summerhill. La traduction française de cet ouvrage était "La liberté, pas l'anarchie". Ce titre est une imposture. Le mot licence existe en français. La licence, la pagaille, le chahut, le bordel ne sont pas l'anarchie. L'an-archie, l'auto-gestion, le self-government suppose une responsabilisation de tous et de chacun, un sens aigu de la citoyenneté, une véritable éducation au jour le jour.

 

11 - POUR CONSERVER LA STABILITÉ DE L'ENSEMBLE, IL FAUT PRÉSERVER LA DIVERSITÉ DES ÉLÉMENTS.

Il faut ici expliciter certains termes. Les mots ordre, désordre, organisation, information, stabilité, catastrophe, système ouvert, système fermé n'ont pas toujours leur sens commun. Or, certains mots sont connûtes négativement. On n'aime généralement pas le désordre. Or, en physique, le désordre moléculaire peut produire du travail. À l'inverse, l'ordre peut être synonyme de mort, d'inertie énergétique. Une catastrophe est, au sens premier, une rupture qui détermine l'achèvement ou la naissance d'un cycle. Un système énergétique fermé n'existe pas dans la réalité. C'est une spéculation intellectuelle. Tout système réel est ouvert. Un système fermé finirait tôt ou tard par perdre tout potentiel par accroissement d'entropie.

Les systèmes réels, notamment les systèmes vivants sont ouverts sur des systèmes plus vastes et plus complexes qui les incluent et les intègrent .

Ainsi, une famille fait partie d'une ville, d'une région, d'une nation qui appartient elle-même à un continent, à une ou plusieurs entités macro-économiques, à un écosystème, à une biosphère, à la planète, à un système solaire, à une galaxie...

Lorsque je m'expose trop au soleil (étoile proche) et que je risque un cancer de la peau, je mets en jeu la sécurité sociale et mes proches parents. Il y a permanence d'échanges entre différents systèmes, entre différents niveaux d'organisation. Ne pas tenir compte de la quatrième dimension qu'est le Temps est évidemment une erreur. Tout système baigne dans la durée, donc évolue d'instant en instant. Certains systèmes ont en outre une ou plusieurs mémoires de leur propre durée. Certains systèmes ont conscience de leur existence. Il y a là des processus récursifs qui augmentent considérablement la complexité des ensembles.

Je prie mon lecteur d'avoir ces idées en tête lorsqu'il s'agit de systèmes bio-sociaux comme le système éducatif (méta-système), l'établissement scolaire (macro-système), l'équipe éducative, la famille ou l'individu (micro-système). On comprend bien que l'individu devient méta-système pour l'organe biologique lequel est, à son tour, un méta-système pour la cellule.

Je prie mon lecteur d'accepter l'idée défendue par certains, à la suite de MANDELBROT, selon laquelle on retrouve les mêmes structures fractales quelle que soit l'échelle où l'on se situe et d'où l'on observe. La symétrie à la fois singulière et plurielle des cristaux ; le contour déchiqueté d'une côte rocheuse, granitique ; les structures dissipatives d'un ensemble nuageux ; les turbulences autour d'une maquette d'avion ; les effondrements liquides d'une chute d'eau; un paysage de hautes montagnes ; les frondaisons d'une forêt obéissent à une géométrie étrange dite fractale. Les formes ont l'air d'être aléatoires. En réalité, une organisation sous-jacente détermine le hasard.

Cette organisation, cette information (littéralement, cette mise en forme) du chaos sont mesurables, identifiables. Évidemment, ces mensurations n'ont pas la rigueur déterministe de ce qui entre dans la géométrie euclidienne et la physique classique. Nous sommes ici dans le flou, le mou, l'élastique, le visqueux, le nébuleux, l'irrégulier, l'informe, l'imprévisible. L'eau liquide et la glace solide sont dans la physique classique et rassurante. Des états stables. La vaporisation, la condensation, le dégel, la sublimation sont des passages, des instants fuyants, les moments d'un devenir. Ces marques fugitives d'un présent qui n'existe pas parce qu'il ressemble à la flèche de Zénon sont celles de la vie même. Mais le plus étonnant et le plus fécond de la géométrie fractale réside dans le fait que la dimension fractale, ce nouveau nombre d'or du chaotique et du désordonné, demeure et signe l'objet, quelle que soit l'échelle où se situe l'observation. La dimension fractale est la mesure des intervalles, des degrés d'irrégularité.

La dimension fractale d'une droite est 1. La dimension fractale d'un plan est 2. Une courbe irrégulière qui "remplit le plan" aura une dimension fractale proche de 2 : 1,967 par exemple. Ainsi la ligne brisée, irrégulière, fragmentaire, propre au littoral granitique de la Bretagne est-elle la même que l'on soit à 5 kilomètres d'altitude, l0 mètres, 1 mètre ou même sous la loupe. C'est ce que Benoît MANDELBROT nomme la self-singularité.

La forme de l'arbre contient la forme des nervures et le réseau des racines. Chaque partie d'un hologramme comprend la totalité de l'image holographique.

Ma mémoire n'est pas exactement localisée dans l'ordinateur neurophile qui me sert de cerveau " (Léo FERRé). Ma mémoire est morcelée, dissipée dans des milliards de neurones et des milliards de connexions. Ma mémoire n'a rien d'un fichier figé dans une armoire ou dans un ordinateur, avec des adresses, des codes immuables. Ma mémoire est en mouvement et classement perpétuel.

Chaque élément nouveau pris à l'environnement ou aux strates mêmes de ma mémoire en recompose la totalité des éléments et des connexions.

Appliquons cette vision des choses aux phénomènes sociaux et notamment ici, éducatifs. Je ne dis pas "Appliquons cette loi". Ne parlons pas de science, mais ici, d'esthétique. Comme MANDELBROT qui déclare : "Je transformais les problèmes mathématiques pour les rendre plus élégants.  Essayons de rendre la politique éducative plus élégante (de eligere : choisir),

Il n'y a pas de différence de nature entre l'organisation ministérielle, celle d'un rectorat, d'une académie et celle d'un établissement scolaire.

Les fonctions prétendent être diversifiées. Mais les schémas hiérarchiques, eux, sont les mêmes à tous les niveaux. Ils expriment une vision statique de systèmes simples. On fait comme si l'École était un système fermé, où s'expriment des forces selon une causalité linéaire. Dans cette approche très traditionnelle, les comportements du système sont prévisibles, reproductibles et réversibles. En réalité, le système est complexe. Il évolue dans le temps et donc est dynamique. Ne s'y expriment pas des forces, mais des flux, selon une causalité circulaire, en boucle. Dans cette approche systémique, les comporte­ments du système sont imprévisibles, non reproductibles, irréversibles. Cependant, voici au sein même de la côte granitique de dimension fractale 1,732, une crique de sable blanc, une poche de silice taillée comme un ongle (D.F. : 1,102). Voici en plein ouragan météorologique, une oasis de paix dont va jouir le navigateur. Voici une clairière dans la masse étouffante de la forêt. Voici un village où l'on s'exprime en sifflant, au sein d'une nation bavarde. Voici un département, une circonscription, une école atypiques dans l'immense appareil grisâtre.

Ici, les relations sont relativement harmonieuses, on travaille avec plaisir, on est assez efficace. La structure chaotique du réel est ici, à proprement parler, domestiquée, apprivoisée. Il n'y a pas nécessairement moins de règles, plus de respect, davantage d'efforts, moins de contraintes. Non. Ici, la règle du jeu est la même qu'ailleurs. Simplement, elle est interprétée et surtout vécue. Interprétée ne signifie pas ici traduite, trahie, détournée. Interpréter une loi, une règle, ce n'est pas tricher. C'est comme interpréter une chanson, exécuter une musique, c'est la jouer, en jouer, l'accommodant, l'adapter au lieu et au moment.

Dans le vaste Appareil, il y a beaucoup de paroles. Du non-dit, davantage encore. Peu d'actes. Ce que les gestionnaires prennent pour des actions ne sont que des velléités. Il revient à ma mémoire une responsable de GRETA (groupement d'établissements, spécialisé dans la formation continue) dont le tic de langage était : "On a monté une action". On monte un coup, on monte un dossier, on monte sur ses grands chevaux. Une action, ça se prépare et ça se fait. Dans les poches de réussite relative, les paroles servent les actes. Le verbe s'y fait chair. Qu'on décide par oukases de transformer la côte granitique en plage de sable fin, et l'on aboutira à l'aridité du désert !

Le législateur a pressenti que les "grilles de lecture" pour appréhender le réel dans sa complexité, fonctionnait comme une trame photographique. On peut affiner à l'infini la résolution de la trame, une part de la réalité demeure dans l'ombre. C'est ce qui se cache derrière les fils de la trame que se trament les mauvaises surprises du réel. On ne lit pas avec une grille. On lit avec les yeux et le cerveau. Une grille de lecture, ce sont des barreaux noirs sur les couleurs de la réalité. Une grille emprisonne.

Les "réformateurs" sont rarement intuitifs. Ce sont des raisonneurs. Un politique, un décideur qui dirait : "J'ai l'intuition qu 'il faut agir de cette manière. Je n 'ai pas de preuve, mais je le sens. " se ferait étriller, car il ne suffit pas de sentir, il faut prouver. Par n'importe quel moyen. L'important est de faire sérieux. Cela s'appelle de la rhétorique ou de la casuistique... L'idée d'appliquer à tous les niveaux, à toutes les échelles le même schéma conceptuel et soi-disant réformiste émerge clairement de la Loi d'orientation jospinienne. Mais, nous dirons qu'en cette occurrence, la dimension fractale n'est pas la bonne. Trop linéaire, trop mécaniste. Il ne suffit pas d'annoncer incantatoirement que l'enfant est au centre du système éducatif. Ici, l'effet d'annonce ne fonctionne que sur le public non impliqué dans l'acte éducatif. L'annonce a pour effet d'irriter les enseignants qui jugent cette incantation méprisante à leur égard. Même ceux qui méprisent eux-mêmes les enfants et leurs familles. Nous en connaissons tous. Annoncer ne sert à rien. Il faut faire.

Concrètement, voyez si les établissements scolaires ont été construits autour et avec les enfants et les enseignants. Ce qui caractérise les établissements scolaires dans ce pays, c'est leur laideur !

12 - TOUCHER À UNE PARTIE DU SYSTÈME DÉRÉGULE L'ENSEMBLE DU SYSTÈME.

Ce principe est à lire aussi dans un sens positif : TOUCHER À UNE PARTIE (SAINE OU MALADE) DU SYSTÈME MALADE PEUT AIDER, INCITER, OBLIGER À RÉGULER TOUT LE SYSTÈME.

Changer un élément de l'emploi du temps, changer de place, changer de professeur, changer de cours, changer de groupe, changer d'équipe, changer de manuel, changer d'inspecteur, changer de fournisseur, changer...

Un système peut fort bien s'accommoder d'éléments malheureux, malades ou fous. Parce que apaiser, guérir ou rendre à la raison ferait imploser ou exploser l'appareil. Le système peut être l'École, l'équipe pédagogique, la classe, la famille, le couple. Un enfant perturbateur peut être un alibi à l'enseignant chez qui, de toute façon, les enfants - perturbés ou non - deviennent perturbateurs. Nous retrouvons ici les vieux exutoires : le bouc émissaire, la tête de Turc, l'abcès de fixation et les pièces maîtresses qui supportent toutes les forces d'un édifice : la clé de voûte, la pierre d'achoppement, le nœud gordien.

En acceptant, sans contrat d'intégration préalable, au coup de cœur et en me lançant un défi à moi-même, un enfant myopathe presque totalement paralysé dans une classe de C.M., j'ai provoqué chez les autres élèves un grave trouble inavouable, donc culpabilisant, qui a conduit trois familles à retirer ces enfants de ma classe, sans m'en donner les vraies raisons. Cette intrusion d'un élément très dérangeant psychologiquement, sans vraie préparation, a abouti, je crois, de proche en proche à une détérioration de mes rapports avec des personnes-clés du lieu. J'avais moralement raison mais systémiquement tort. Il faut savoir si l'on veut se battre contre les moulins à vent ou réussir une entreprise pédagogique. Je dois à la vérité de dire qu'à cette époque, compte tenu de ma lassitude extrême, j'avais envie inconsciemment d'échouer et de partir.

Mon épouse, directrice d'école maternelle, me parle d'un enfant pour qui tout changement, toute dérogation aux habitudes provoque une crise d'angoisse. Au bout de neuf mois d'école, cet enfant est devenu mieux qu'un perturbateur du groupe, un élément anxiogène : il est devenu un révélateur.

Son extrême sensibilité en a fait un excellent critique (involontaire) des spectacles et activités proposés à la classe. S'il accepte de dépasser sa peur, c'est que le contenu émotionnel de l'activité ou du spectacle est acceptable par tous. En matière de production vidéo, il semble que cela confère un label de qualité.

Éduquer (et plus généralement, vivre) suppose que les artifices, les béquilles, les étais, les pis-aller, les paravents, les non-dits soient identifiés, reconnus, éventuellement combattus, remplacés, déplacés, supprimés.

C'est ici que l'on distingue entre dire et faire. On peut proclamer que l'enfant est au centre du système éducatif et accepter cependant qu'il soit la première victime des dysfonctionnements du système. On peut, au contraire, faire que le service public d'éducation soit au service des enfants du peuple. Cela peut alors entraîner des sanctions et des mesures de remédiation mettant en cause très précisément des personnes particulièrement incompétentes, légères ou pathologiquement atteintes. Cela ne concerne pas seulement les enseignants de la base mais aussi les décideurs et les hauts fonctionnaires. Quelquefois la crise (catharsis) est nécessaire. Il convient alors de s'y résoudre ou de s'y préparer.

 

13 - RECHERCHER LES POINTS SENSIBLES

Par l'analyse et la simulation, il est possible de détecter dans un système des points sensibles ou points d'amplification. C'est là qu'il faut agir. Bien entendu, si vous agissez de manière uniforme sur tous les points, vous allez déréguler complètement le système en renforçant et en amplifiant certains phénomènes et effets plus ou moins pervers.

On aurait pu, en 1970, impulser les mathématiques modernes dans des secteurs choisis. Au contraire et sans préparation., avec la sempiternelle rengaine de la panacée et la garantie de sérieux, le label scientifique liés à la personnalité éminente du professeur LICHNEROWICZ qui n'en demandait pas tant, la réforme a été brutalement infligée à l'ensemble du système. Passé l'effet de mode, elle a été unanimement condamnée - il existe dans ce pays un intégrisme pédagogique qui, telle la Gorgone Méduse fait renaître à l'envi les têtes qu'on lui a coupées - et il n'est presque rien resté de la théorie ensembliste dans les programmes qui ont suivi. Ce qui est dommage car on pouvait en garder des boutures très fécondes.

Les mesures doivent être appliquées aux points sensibles et de façon différenciée. Une mesure unique et c'est la dérégulation qui s'en suit.

Le passage brutal d'une pédagogie traditionnelle à une pédagogie "moderne" engendre une anxiété chez les parents d'élèves. Cette anxiété est elle-même anxiogène pour les enfants qui dès lors vont manifester leur inquiétude par de l'agitation, du bruit et des comportements déviants. Ces attitudes, connues des parents, vont accroître leur trouble et transformer une déviance légitime en franche hostilité à l'égard d'un maître révolutionnaire". Il s'agit là d'une boucle de rétro-action positive : l'effet est amplifié.

À l'inverse, un travail de communication capable de rassurer les parents va entraîner une sérénité qui va déteindre sur leur progéniture. Les enfants, confortés à la fois par les parents et leur maître, seront plus aptes à donner le meilleur d'eux-mêmes dans la geste éducative. Il convient donc pour l'enseignant arrivant dans un nouvel endroit, d'offrir immédiatement une image rassurante. Des solutions immédiates de bon sens. Une certaine fermeté. Ensuite, profiter de l'état de grâce qui suit chaque nouvelle installation pour instiller des modifications qui paraissent répondre à une évidente nécessité.

Quand une bibliothèque est couverte de poussière, ou située dans un coin sombre, quand l'atelier de peinture est à 50 mètres d'un point d'eau, quand les ordinateurs ne servent que de consoles vidéo aux enfants du concierge, quand le portique est rouillé et que les agrès sont au plus profond de l'armoire la plus discrète, quand il est évident que la décoration murale des classes remonte à une décennie, alors, on peut engager de prudentes transformations en s'appuyant sur ces points précis. Il suffit parfois de faire monter une prise électrique, de changer l'affectation d'une salle, de planifier l'usage d'un hall de sports, d'installer ailleurs la photocopieuse, d'établir un véritable inventaire pour enclencher une heureuse réaction en chaîne.

14 - RÉTABLIR LES ÉQUILIBRES PAR LA DÉCENTRALISATION.

Si mon cerveau devait gérer au coup par coup les mouvements musculaires nécessaires à mon déplacement en station verticale, je pourrais difficilement traverser mon bureau en une heure. Des corrections ont lieu d'instant en instant dans les muscles et la moelle épinière relaie le cerveau dans la tâche mécanique mais complexe de la marche bipède.

À toutes les échelles : École, école, équipe, classe ou ce qui tient lieu de classe (ce concept pourrait être éventuellement repensé...), une autonomie doit être accordée aux différents centres de décision. Pas de pseudo-autonomie qui, au bout du compte, consiste à jouer un peu, en trichant, mais pas à remettre en question la règle même du jeu. La question centrale de l'A.T.E. (aménagement du temps de l'enfant) est au cœur de ce qui pourrait amorcer une transformation profonde du système éducatif.

Sous-bassement théorique : l'état de la recherche en chronobiologie.

Contraintes incontournables : la législation concernant l'éducation religieuse, le travail (ou le chômage) des parents, les impératifs des transporteurs, le coût global en équipement et fonctionnement. Aucune contrainte n'est jamais totalement incontournable...

On peut tenter des expériences ponctuelles. Dans le contexte habituel d'aujourd'hui, des petits de 3 ans scolarisés en maternelle sont réveillés à 6 h 30 du matin, placés devant la télé après un petit déjeuner fantasmatique, amenés à l'école à 8 h 30, repris par les services municipaux pour la garderie-cantine de 11 h 30 à l3 h 30, embarqués à 16 h 3 0 dans un centre de loisirs pour réintégrer leur domicile et rencontrer un papa aléatoire vers 19 h. Une expérience ponctuelle, après concertation des divers intéressés (enfants compris si possible), sous contrôle des autorités administratives, médicales, locales ne peut pas faire pis que cette journée de travailleur de force. On connaît un peu les exigences de la chronobiologie. La disponibilité des enfants est optimale entre 9 h et 11 h, puis entre 15 h et 19 h. La coupure du mercredi - en allemand : mittwoch, jour du milieu de la semaine (remplaçant le jeudi d'antan, quand la semaine de travail comportait 6 jours de 6 heures et 1 heure quotidienne d'étude) - était autrefois beaucoup consacrée au plein air ou à la rue.

Elle est aujourd'hui télévisuelle.

Pour décentraliser efficacement, il faut avoir préalablement désigné des objectifs et défini un calendrier. Le pouvoir politique indique un cap, une direction.

Un objectif quantitatif du type " 80% d'une classe d'âge au niveau du bac" est propre à toutes les dérives et à toutes les avanies et avaries. Quand le diplôme est socialement dévalué, quand le marché du travail est saturé, une telle "ambition" apparaît comme une lubie technocratique. En outre, cela suppose qu'un cinquième de la population scolaire est abandonné à son sort. Ce sont précisément les 20% d'enfants débarquant au collège sans un savoir-lire véritable (il n'est pas sûr qu'on puisse parler là d'Illettrisme...) et sans connaissance suffisante de la langue qui feront les frais de l'exclusion. Attention, le mot d'ordre "socialiste" parlait de classe d'âge et de niveau Terminale ! Ajoutons à cela un refus global des redoublements et nous menons effectivement 80% de la jeunesse au bac... et en bateau.

Le pouvoir politique peut indiquer un cap, une direction. Recevables. Et définis. Par exemple : UNE CULTURE GÉNÉRALE SOLIDE À L'ISSUE DE LA TROISIÈME. On pourra tergiverser sur la notion de culture générale et arguer que cela est bien... général.

La culture générale scolaire est définie par les programmes. On peut vraiment les alléger quant au catalogue. Notamment en sciences. Aborder la géologie au C.E.2 n'est peut-être pas judicieux... On peut ensuite rendre les instructions plus efficientes si l'on renonce à une nomenclature de savoirs (programmes) pour y substituer des savoir-faire et des savoir-apprendre (objectifs).

Les notions mathématiques de base s'acquièrent à l'école primaire (maternelle + élémentaire). Une "pédagogie" qui aboutit à ce qu'un enfant de cours élémentaire dise, à la mi-mai : "Je ne sais pas faire de soustraction avec retenue" alors qu'il prend des sous dans le porte-monnaie de sa mère est infirme et met un gouffre entre la culture scolaire et la vie. Si des enfants pèchent encore dans l'écriture et la lecture des nombres au C.M.l, c'est qu'on a saucissonné (avec l'alibi de la "progression") l'ensemble des nombres naturels et qu'on a fait apprendre une suite balbutiante de chiffres et pas un principe de numération.

Les disciplines instrumentales supposent nécessairement une didactique conduisant à la mise en place de savoir-faire, savoir-être, savoir-apprendre, savoir-savoir. Les matières d'éveil ne sont justement pas des disciplines mais des matières, de la matière, de la connaissance. Elles constituent avec le temps le corpus individuel de culture générale de chacun.

La lecture, l'écriture, le calcul, la géométrie, l'observation scientifique, la logique, le dessin documen­taire, la mesure, le solfège sont les meules. L'histoire, la géographie, la littérature, la musique, les arts en général, les découvertes scientifiques sont le grain à moudre.

"Un cerveau qui n 'a rien mémorisé ne peut être créatif. " (Henri LABORIT)

Des escrocs intellectuels prétendent que c'est à l'enfant de construire lui-même son savoir. Ceci est une imposture. Dangereuse. Car elle nie l'essence même de la transmission des connaissances (instruction) et de la transmission des valeurs (éducation) d'une génération à une autre.

Une classe sans dictionnaires, sans atlaS, sans mémentoS, sans maquettes, sans planS, sans machineS à écrire, sans coin-lecture, sans matériel de sport, sans pots de gouache ou craies pastel, sans œuvreS d'art, sans musiqueS, sans organe(s) d'information devrait entraîner des sanctions pour le directeur, le maître, les délégués de parents et en général tous les membres du conseil d'école !

De nombreuses classes sont dépourvues de dictionnaires mais le maître consacre beaucoup de temps à la règle orthographique : quatre-vingts/quatre-vingt trois, deux cents/deux cent trois, alors qu'il existe à cet égard des tolérances grammaticales et orthographiques datant de 1901, puis 1976 !

Si l'on prend le contenu d'un ouvrage malheureusement non ré-édité par Hachette ; LE LIVRE COMPAGNON qui faisait une bonne synthèse des disciplines instrumentales et des disciplines dites d'éveil (cette terminologie abandonnée officiellement était excellente), si l'on ajoute dans le Secondaire les rudiments du latin (dont notre langue et quelques autres en Europe sont issues!), une langue vivante et un véritable enseignement de la communication et de l'information, on aboutit à un corpus de connaissances tout à fait respectable en fin de Troisième. Si, en outre, les interactions entre disciplines et matières sont appréhendées par tous les élèves au sortir du Collège, si les élèves ont acquis des habitudes et des comportements sociaux dignes d'êtres civilisés par une éducation (et une instruction) civique et morale au jour le jour, pratique, active, alors l'école peut estimer n'avoir pas perdu son temps.

Le pouvoir politique indique une direction, un cap. Aux établissements, localement, en fonction des réalités spécifiques, de choisir leur cheminement, leur stratégie et leur tactique éducative, avec le maximum d'autonomie.

Une administration tatillonne, brouillonne, mesquine, méprisante a désamorcé les enthousiasmes, ruiné la santé des novateurs, anéanti les élans des mouvements pédagogiques, stérilisé les recherches de terrain. Quand il existe encore, ça et là, quelque velléité d'initiative, chaque "fonctionnaire", à son niveau, prévient des dangers et des risques et ouvre immédiatement un énorme parapluie. Aux questions embarrassantes, les inspecteurs évitent de répondre par écrit ou, s'ils le font, c'est généralement dans une formulation si bureaucratiquement neutre qu'il est impossible d'y pressentir un encouragement vrai, une mise en garde clairement justifiée. Le mot d'ordre hautement mobilisateur est : "Attention ! Pas de vagues !"

Par ailleurs, la langue (et la pensée !) de bois n'empêche pas la pérennisation de situations pourrissantes. Des établissements, des relations, des structures se dégradent physiquement et moralement sous un rideau de fallacieuse fumée. Il est loin le temps où des inspecteurs d'académie se déplaçaient dans des écoles de campagne pour défendre, devant des parents inquiets ou tout simplement fielleux, la pédagogie active et généreuse d'une institutrice ou d'un instituteur militant de l'École Moderne... Cette veulerie à peu près générale a d'ores et déjà perdu le Grand service public national d'éducation dont il fut question en 1981...

15 - SAVOIR MAINTENIR LES CONTRAINTES

La réalité de la geste éducative est infiniment complexe. La tentation est alors grande, à quelque niveau qu'on se situe, d'en oublier certains aspects, d'en négliger des pans entiers, d'en privilégier les thèmes porteurs.

De la fin de la Seconde guerre mondiale jusqu'aux années soixante, la France s'est encore offert le luxe paisible et paradoxal de faire vivre une École républicaine à la mode traditionnelle et d'essence rurale : discipline adoucie par les classes de neige et la distribution de lait aux enfants du baby-boom, blouse grise et compendium métrique, dernières classes de Fin d'études primaires, morale et calligraphie alors qu'apparaissent les premiers chewing-gum et stylos à bille.

Mai 68 a remis en question une institution qui semblait n' avoir pas tenu compte des leçons de la Guerre ni de l'effondrement de l'empire colonial. Pourtant l'œuvre de démocratisation (au moins quantitative) était entreprise.

L'histoire événementielle est alors mise à mal et remplacée par une Nouvelle Histoire plus sociologique, plus ancrée dans les mœurs et la quotidienneté, plus axée sur les traces locales, ponctuelles ou massives d'un passé qu'on exhume sans - scolairement - le dater vraiment Pour les enfants, la borne milliaire, l'église Renaissance rapetassée de briques industrielles et les tickets d'alimentation de l'Occupation appartiennent à un passé uniforme, sans stratifications ni relief. Du coup, comme toujours, on jette le bébé avec l'eau du bain et on évacue les références chronologiques si bien que, lorsque CHEVÈNEMENT revient à une sorte d'intégrisme pédagogique : lire, écrire, compter et recevoir les bases de la culture républicaine, on enterre l'histoire locale, l'histoire civilisationnelle au profit d'un symbolique; MARIGNAN, 1515...

Or, ce qui chaque fois échappe aux révolutions en chambre que sont les successives réformes et réformettes, c'est la complexité d'une Histoire dans laquelle s'enchevêtrent, se renforcent ou s'annulent événements apparemment anodins et tendances lourdes, mutations économiques et hasards individuels, coups de force du destin et entêtements portant des fruits tardifs mais succulents. Ainsi, ledit de Villers-Cotterêts de 1539 qui donne au francien (pour aller vite...) statut de langue royale et administrative est-il beaucoup plus important pour le devenir de la culture française que la victoire incertaine de FRANÇOIS 1er sur les Suisses. Qui sait, chez les instituteurs ou professeurs d'école, que la réforme grégorienne a été instaurée en France en 1582 et qu'on est passé du jour au lendemain du 4 au 15 Octobre ? Cela explique évidemment que la Révolution d'Octobre 1917 soit (encore ?) fêtée en Novembre, les Russes n'ayant abandonné le calendrier julien que fort tardivement.

On m'opposera que les chères têtes blondes (quelque peu africanisées par le métissage) ne sont pas aptes à entendre ces subtilités. Jusqu'au C.E.2, il est vrai que l'Histoire doit prendre volontiers l'apparence d'une suite de contes. Mais les contes ont des décors et un tempo, les personnages n'y sont pas taillés d'une pièce. Ensuite, les enfants et les adolescents sont tout à fait capables de saisir les déterminismes et les accidents, les longs enracinements et les fulgurances qui précipitent hommes, peuples, civilisations dans la tourmente du Temps. Les idées sur l'Histoire sont rarement claires. Qui, spontanément, placerait la naissance du capitalisme moderne à la fin du XVième siècle? On n'imagine aisément que GALILÉE était victime d'une inquisition médiévale. Or il meurt en 1642, c'est-à-dire au XVIIième siècle. On utilise pour la première fois le signe = en 1557 et FALLOPE met au point un préservatif en tissu en 1564. Le crayon apparaît en 1565 et quatre ans plus tard, MERCATOR réalise la première projection plane du globe terrestre, à la demande de CHARLES-QUINT, soit soixante quatre ans avant l'abjuration de GALILÉE (1633) ! Et il faudra attendre 1993 pour que l'Église catholique reconnaisse l'injustice commise envers le savant italien...

Il est donc clair que l'enseignement de l'Histoire ne peut faire l'économie ni de l'événementiel ni du civilisationnel. Et, du reste, toutes les matières doivent être enseignées. Ces évidences n'ont pas empêché l'ineffable Claude ALLÈGRE de tenter en 2000 de réduire à rien l'enseignement de l'Histoire : il n'est pas utile, recommandaient des textes d'une rare indigence, de parler, au Cycle 3;  de féodalité au sujet du Moyen-Âge !

Il est déraisonnable de dissocier instruction et éducation. Ceux que MILNER a nommés plaisamment les réformateurs pieux (héritiers de FREINET, des mouvements pédagogiques et de la mouvance soixante-huitarde) ont volontiers mis en exergue l'éducation, la morale, la sociabilisation, les relations groupales, l'autonomie, l'auto- et le co-apprentissage : il faut apprendre à apprendre et partager les savoirs. Notons qu'ils ont aussi créé les outils programmés pour les apprentissages individuels. Quand fat sifflée la fin de la récréation de 68, quand on entra dans la décennie qui, au lieu de changer la vie allait déboucher sur les golden boys, les délits d'initiés et l'affaire du sang contaminé, les trotskistes défendirent une position plus "confortable" : "L'École n 'a pas à éduquer. Cette vocation revient aux familles. L'école doit se contenter d'instruire, de communiquer des savoirs. "

Dès lors, commença l'ère peu glorieuse de certains enseignants transformés en distributeurs de photocopies.

Cependant, les journées d'enseignement ne comptent que six heures. La télévision, en état actuel des choses, n'est plus une "école parallèle". Non seulement la télévision (celle que regarde la majorité des enfants, dès 7 heures du matin), n'instruit plus, mais de surcroît, elle déséduque. Entendons-nous bien, elle peut être utile si, rendue à sa vocation de service public, la télé s'interdit le nivellement par le bas. Il est probable qu'on mesurera bientôt la nocivité d'un martèlement médiatique dès le plus jeune âge. N'insistons pas sur les modèles "culturels", relationnels, amoureux, sexuels, sociaux qui conduisent des enfants de 10 ans à insulter des gens de couleur, à ne penser qu'au sexe dans sa plus grande vulgarité, à se tabasser avec la constance des crétins bondissants des arts martiaux, à pratiquer l'ostracisme, l'exclusion, le bizutage sournois, le sexisme le plus honteux.

L'expérience montre que les zones rurales, plus conservatrices, plus structurées socialement, économiquement, sinon démographiquement sont relativement à l'abri de ce type de comportements anti-so­ciaux. Les zones rurales sont des lieux où l'on subit encore les rigueurs et chaleurs des saisons, où la vie de la population s'inscrit dans des rythmes, dans des rites, dans des retrouvailles, dans une sorte de religion, de reliance qui permettent au tissu social de ne point trop partir en morceaux.

Sans doute est-ce dans les valeurs sûres de la ruralité que l'École en proie à la convulsion peut trouver des remèdes ?

16 - DIFFÉRENCIER POUR MIEUX INTÉGRER

On retrouve ici, sous une autre forme, le troisième principe issu de la thermodynamique, concernant la différence de potentiel. L'union à contrecœur, qui dépersonnalise, la volonté unificatrice de ne plus voir qu 'une seule tête, le goût du lisse et de l'homogène marquent la monotonie entropique.

Cependant trop de diversité nuit et conduit à l'explosion. Trop d'uniformité mène à l'ennui et à l'impuissance. La créativité naît d'une combinaison dynamique de cohésion et de différence, de cohérence et de diversification.

L'émergence d'un nouveau système complexe d'éducation ne peut se réaliser sans une double exigence antagoniste. D'une part, l'État-nation doit définir les grands objectifs éducatifs, assurer aux personnels d'éducation un statut et un traitement de base convenables. L'État doit jouer en outre un rôle d'arbitre et de régulateur. D'autre part, les collectivités locales : régions, départements, districts, villes, communautés urbaines ou rurales doivent pouvoir répondre aux questions éducationnelles, spécifiques que posent leur propre histoire, leur profil sociologique, les contraintes et les atouts de leur économie.

Que l'État exige que la langue nationale soit celle de la République et donc la langue de l'administration est légitime. Ce qui l'est moins, c'est que soient oubliés les langues et dialectes régionaux. Mais il devrait être possible à chaque région d'organiser la conservation, l'enseignement et la promotion de son patrimoine linguistique, littéraire et plus généralement culturel.

On ne peut pas parler d'intégration sans faire référence à deux problèmes importants. Intégrer, c'est assimiler tout en respectant la différence, le handicap et l'étranger. Les intégrations sont ici de natures très différentes. Les handicaps sont divers. Certains peuvent être réduits, d'autres non. Les uns évoluent vers la guérison, les autres vers une dégradation croissante. Certains permettent une intégration facile, d'autres rencontrent de graves obstacles pratiques et/ou psychologiques. Les difficultés matérielles se résolvent par des solutions techniques, souvent de simple bon sens, quelquefois sophistiquées mais qui ne sont jamais d'un coût exorbitant. Les vrais obstacles sont psychologiques. Leur résolution passe par un profond travail de sensibilisation et de confrontation dans l'action. Un inspecteur, un maire, un délégué syndical, un médecin de famille doivent se colleter très concrètement à la réalité dérangeante d'un handicap lourd que ne subissent réellement que les enfants et les enseignants sur le terrain. Pour comprendre, et pour apprendre. Pour être en mesure ensuite d'établir un véritable projet-contrat d'intégration.

Certains étrangers sont plus étranges, ici et maintenant, que d'autres. Nous avons avec les uns un lourd contentieux. Nous savons, avec d'autres, oublier les vieilles détestations. Certains étrangers se coulent dans le modèle du pays d'accueil, quitte à conserver discrètement des coutumes ancestrales par ailleurs recevables par le droit et les mœurs d'ici. D'autres migrants font au contraire preuve d'une ostentation qui ne peut que provoquer le malaise, l'hostilité et la haine des indigènes.

La laïcité, les Droits de l'Homme, le code civil sont les garants d'une intégration réussie qui ne gomme ni n'exalte les différences. Mais cela ne suffit pas. Des français modérément catholiques s'indignent chaque année des sacrifices rituels de la fête musulmane du mouton. Qui expliquera aux uns et aux autres que christianisme et islam sont issus de la même tradition judaïque et qu'Abraham et Ibrahim ne sont qu'une seule et même personne, comme Marie et Myriam, Jésus et Issa, considéré par les musulmans comme un très grand prophète, voire comme le Maadi ? Qui expliquera que le ramadan est un jeûne purificateur semblable à notre carême d'antan ? Qui dira que sunnisme et chiisme sont deux islams parfois antagonistes, comme le sont encore catholicisme et protestantisme ? Notre société vit dans un flot ininterrompu d'images et de mots qui la saoulent mais ne l'éduquent pas...

Ouvrons le cahier d'une écolière pied-noir qui avait sept ans peu de temps avant l'Indépendance de l'Algérie. Cela commence par une leçon de choses sur l'automne. Avec un tampon encreur, la maîtresse a déposé sur la page blanche le dessin d'un laboureur (normand, picard, berrichon, francilien, beauceron mais sûrement pas algérien) poussant la belle charrue tirée par un lourd cheval (percheron, boulonnais, mais certainement pas arabe !) dans un décor de pommiers et de cumulo-nimbus, d'herbe drue et de clocher pointu, un décor digne de la force tranquille...

Le mépris des autochtones colonisés était là, inconscient, quotidien, énorme, béant de supériorité satisfaite, dans cette négation absolue de la réalité vivante d'un peuple et de sa culture. Ce devrait être le rôle de l'école que d'expliquer le monde, l'unité anthropologique et l'extrême diversité des cultures, la permanence de certains mythes et la pluralité des pratiques sociales. Mais les médias possèdent une autre puissance. Or ceux-ci exploitent confusément les manifestations de racisme (réciproque) sans jamais tenter d'éclairer les faits par un travail de pédagogie sociale et historique. Et pendant qu'une gauche démagogue quand elle n'est pas défaite fait preuve d'un angélisme veule, la droite développe les arguments les plus mensongers et désinforme à longueur de discours.

17 - ACCEPTER ET DÉPASSER LES CRISES POUR ÉVOLUER.

Le vivant cherche à se préserver en l'état, c'est ce qu'on nomme "instinct de conservation". Un système homéostatique est naturellement conservateur. Il n'évolue que contraint par des agresseurs internes ou externes. Il ne se transforme que dans l'urgence et la catastrophe.

Or, les mutins mutants existent ici et là. Les germes du changement, les théoriciens de la contestation, les expérimentateurs d'utopie existent, produits d'ailleurs, à dose homéopathique quand tout va bien, massivement quand tout va mal, par le système lui-même. Les éléments porteurs de crise(s) surgissent généralement là où on ne les attendait pas. On pensait voir se lever des guerriers de l'ombre et ce sont des pétroleuses qui revendiquent le droit de vote. On espérait une revendication catégorielle et salariale et ce sont les étudiants qui rejettent le consumérisme et exigent le droit de jouir sans entraves...

Le système éducatif est en crise. Il n'évoluera que dans le traumatisme et la douleur si l'on continue de piller les grands éducateurs, théoriciens et surtout praticiens, en ne gardant de leur oeuvre que l'écume de l'apparence et en en rejetant la profonde essence subversive.

Les fichiers auto-correctifs de FREINET étaient pour lui une concession à la scolastique. Ce qui le passionnait vraiment c'était la naissance d'une véritable éducation prolétarienne. Les épigones ont fait du mercantilisme avec les outils programmés de la Coopérative de l'Enseignement laïc et enterré définitivement l'Éducateur prolétarien. La revue Art Enfantin a été débaptisée et remplacée par Créations.

Dans LE MACROSCOPE, Joël de ROSNAY oppose l'organisation-cristal, statique, fermée, redon­dante, qui s'effondre lorsque l'environnement varie, à l'organisation-cellule dynamique, ouverte, reposant sur la variété et le renouvellement de ses éléments.

"L'organisation-cellule (...) ne craint pas une désorganisation passagère, condition d'une réadaptation plus efficace. Admettre ce risque transitoire, c 'est accepter et vouloir le changement. Car il n'y a pas de changement sans risque. "

Les décideurs oublient toujours que la marge fait aussi partie de la page...

18 - PRÉFÉRER LES OBJECTIFS À LA PROGRAMMATION POINTILLEUSE.  

Quand on lit les textes organiques de l'Instruction publique, aujourd'hui plus que centenaire, on est frappé de leur concision, de leur ambition et de leur humilité. Alors les Écoles normales d'instituteurs dispensaient à chacun un viatique de savoirs et de savoir-faire simples et éprouvés. Les professeurs connaissaient la tâche qui attendait les élèves-maîtres. Ils étaient justes, fermes, rigoureux. Ils ne doutaient pas de la légitimité de leur foi. Le progrès social dépendait du progrès intellectuel. Un peuple délivré de l'ignorance devait nécessairement s'émanciper. Nous sommes là dans la mythologie de "La Gloire de mon père". Et comme dans toute mythologie, l'essentiel est (presque) vrai. La III ième République a donné à l'école primaire trois séries d'Instructions et programmes. Au moment des lois instituant l'École républicaine d'abord, de 1885 à 1889, puis après la Grande Guerre, en 1923, enfin en 1938. II s'agit de ré-ajustements. On re-précise aux maîtres la nécessité d'ancrer leur pédagogie dans le réel, la manipulation plutôt que dans l'approche livresque : "Ce n 'est pas le maître qui détient la vérité, c'est la chose..."

Les Textes de 1945 ne se démarquent pas véritablement des I.O. antérieures. La France de l'après-guerre retrouve ses marques, mais aussi la volonté farouche de mettre en oeuvre les principes du Conseil national de la Résistance. Cela ne durera pas. La Vième République entame une oeuvre de démocratisation scolaire, répondant du reste à la formidable demande démographique. C'est avec les années 60 que les certitudes tranquilles vont voler en éclat. Mais, il est difficile pour n'importe quel pouvoir, de renoncer à l'illusion de la totale maîtrise des choses. On va donc voir un Bulletin Officiel de l'Éducation nationale s'enfler et devenir un véritable monument illustrant la boursouflure technocratique. Dans la masse grisâtre d'une prose administrative de plus en plus ampoulée, votre oeil est attiré par des mots incongrus dans pareil voisinage : "Salopes perverses", "Les suceuses", " Analement vôtre", etc... Il s'agit, dans les années 70, de la liste des films interdits au moins de 18 ans que le B.O.E.N. publie, impassible.

Avec la Vième République, les ministres de l'Éducation nationale vont s'acharner à doter le système éducatif de réformes, instructions et programmes en rafales. Certains recteurs deviennent des person­nages médiatiques. L'École et les écoles deviennent l'enjeu d'affrontements politiques ou pseudo-intellectuels extrêmement passionnés. Certes, il fallait adapter le système éducatif aux mutations de la société. Mais au lieu de s'en tenir à une définition d'objectifs et à une confiance dans les capacités adaptatives des enseignants, le pouvoir administratif s'est engagé dans une programmation minutieuse, maniaque et surtout autoritaire. N'oublions pas dans cette course à la pseudo-modernité les éditeurs d'ouvrages scolaires qui ont proposé aux maîtres des outils clés en main, alors que les réformes insistaient sur le concret, l'activité, le vécu...

En trente ans, j'ai assisté plusieurs fois au même scénario. Élaboration plus ou moins paritaire de programmes et instructions. Diffusion et commentaires donc interprétation par les inspecteurs d'une part et les médias d'autre part, sortie précipitée de manuels et matériels divers, mise en exergue de quelques points de la réforme au détriment de tout le reste. Effet amplificateur dû à la masse. Désarroi des maîtres. Colère des parents. Temps perdu pour les enfants. Correction de la réforme par une contre-réforme aussi peu nuancée que possible.

Disons-le, les administratifs, les soi-disant chercheurs, les prétendus experts ont eu chaque fois la prétention de "penser" la réforme en lieu et place des travailleurs de terrain.

Les objectifs sont globalement connus des enseignants. On peut certes dériver. C'est pourquoi il est utile de rappeler régulièrement et avec des définitions claires pour tout le monde, quel est le but poursuivi, le temps imparti, les moyens dont on dispose, la déontologie générale. Après quoi, à chacun, seul, en groupe, en équipe, en réseau, selon son tempo, son tempérament, ses aptitudes, ses inclinations, son imagination, sa créativité de définir une stratégie, une panoplie tactique, de travailler à l'œuvre commune.

 

POUR ACCÉDER AUX TEXTES FONDATEURS

19 - SAVOIR UTILISER L'INFORMATION.

Le mot information est riche de sens. In-former, c'est littéralement mettre en forme, donner une forme, donc ordonner, organiser, créer de la néguentropie.

Les pigments colorés sont issus de minéraux, de végétaux ou de produits animaux. Une première mise en forme consiste à les extraire, les rendre purs ou à les synthétiser et à les conditionner en tubes ou en pots. C'est le travail du chimiste et du négociant.

La seconde mise en forme concerne le peintre. Sur sa palette ou dans des godets, il va mélanger les couleurs, y introduire des liants, des vernis. Puis il va juxtaposer ou superposer les couches de peinture et créer une représentation à deux dimensions, sur un support plus ou moins vierge. L'œuvre d'art est née.

Cette oeuvre peut avoir un destin qui peut dépasser la vie même du peintre. Elle peut devenir une référence dans l'histoire de l'art, un objet de thèses, un placement financier, le pré-texte à de nouvelles créations, en littérature, théâtre ou cinéma. A ce troisième niveau d'information, qui sait encore d'où proviennent l'ocre, les sels de plomb ou de cadmium, la céruse ou le lapis-lazuli qui ont contribué à sa première élaboration ?

En systémique, l'information, c'est l'énergie de commande. L'énergie de puissance, c'est le fioul ou le gaz ou le charbon delà chaudière. L'énergie de commande, c'est la petite quantité d'électricité nécessaire au fonctionnement du thermostat qui régule lui-même le fonctionnement de la chaudière.

Dans un système social, on l'a vu, il est nécessaire de disposer de boucles de rétroaction négative afin d'éviter les effets pervers,

L'information dans l'acception la plus commune, est essentiellement descendante dans les systèmes sociaux. Elle n'a jamais été aussi massive qu'aujourd'hui. On ignore si ce phénomène connaîtra une croissance illimitée ou s'il subira une décélération. L'information de masse peut être largement manipulée, dénaturée, amplifiée, minorée, étouffée. L'information qui remonte des citoyens vers les centres de décision est quantitativement dérisoire, souvent qualitativement illusoire : pseudo forums, débats sur un plateau de télé ou autour d'un micro, reality-shows mettant en scène des citoyens lambda.

Recevoir de la bouillie informationnelle est relativement peu coûteux. En revanche être informé aux sources et être soi-même producteur ou relais d'information est difficile en raison du coût global. La division de la société ne se situe pas seulement dans un clivage riches/pauvres mais aussi dans une opposition entre sur-informés et sous-informés.

Les citoyens et, en l'occurrence, les acteurs de l'éducation ont politiquement intérêt à diffuser transver­salement, horizontalement leurs informations afin de court-circuiter les réseaux verticaux et donc fatalement réducteurs, simplificateurs, ou carrément mensongers. Une politique éducative qui ne sacrifie pas une fraction importante de la population passe non plus par une appropriation collective des moyens de production mais par une appropriation collective des moyens d'information.

Cela signifie concrètement qu'il convient d'exiger pour les établissements d'enseignement le droit à une information de qualité quasiment gratuite.

Cela signifie concrètement que chaque unité d'enseignement ne doit pas simplement consommer de l'information mais surtout en produire, en créer. Il ne s'agit pas de régurgiter - mal - une sous-informa­tion obtenue par la cruelle mauvaise digestion de l'information descendante, mais bel et bien de créer, inventer une information inédite à partir de tous les matériaux disponibles.

20 - RESPECTER LES TEMPS DE RÉPONSE ET DONC D'ADAPTATION

Chaque système a un temps de réponse spécifique.

On sait qu'il est vain, en éducation, d'attendre des vendanges tardives à l'heure des moissons précoces. Mais il ne s'agit pas d'oublier de semer au bon moment.

Dans le chapitre sur la DISCIPLINE j'ai déjà à évoqué le respect d'un calendrier annuel qui tienne compte des réalités saisonnières, chronobiologiques, festives et culturelles de notre année civile et de notre année scolaire. Des recherches sérieuses devraient être réalisées dans ce sens.

Les maîtresses de maternelle savent cela et intègrent dans leur démarche pédagogique (didactique et éducative) les grands moments de la journée : accueil, passage aux toilettes, l'heure du conte, le moment des ateliers, la distribution du lait et des gâteaux et la fameuse heure des mamans ; de la semaine ; de l'année, avec les événements cycliques naturels mais aussi culturels et hautement symboliques et donc structurant la pensée de l'enfant. L'automne, la Toussaint, la fête de la Victoire, Saint-Nicolas et Sainte Catherine, Noël, le jour de l'An, l'Épiphanie, le Mardi Gras et Carnaval, le poisson d'Avril, les Rameaux, Pâques, le 1er Mai et le 8 Mai, la fête des Mères et celle des Pères, le jeudi de l'Ascension, la Pentecôte, ces fêtes civiles et religieuses ponctuent le rythme de Tannée et lui donnent cohérence interne, externe et références historiques ou mythologiques.

Il n'est évidemment pas question d'oublier les grands moments de l'islam ou du judaïsme pour les communautés concernées. Il est très important en outre d'expliquer, de clarifier la fonction hautement socialisante de ces fêtes et manifestations aux uns et aux autres afin de réduire les fantasmes d'exclusion en montrant tout à la fois les différences complémentaires qui singularisent et identifient et les similitudes qui marquent l'unité anthropologique.

Certains résultats sont obtenus immédiatement, d'autres requièrent des délais plus longs.

Dans le cadre de la constitution d'une équipe de travail composée, selon les barèmes actuellement en vigueur, d'éléments venant de différents horizons et d'expériences diverses, il faut dire que les grandes orientations ne peuvent se réaliser que si l'équipe a acquis une certaine cohésion après les vacances de la Toussaint. Cela signifie que le directeur doit avoir pris en compte auparavant et depuis la rentrée de Septembre la résolution de problèmes souvent très anodins, très pratiques et concrets mais aussi très symboliques.

Du remplacement de la photocopieuse de telle école dépendent les relations futures avec la municipalité. La quantité nécessaire et suffisante de papier hygiénique dans les toilettes signe la bonne ou la mauvaise volonté des agents de service. Des maîtres trop souvent dérangés dans leur classe par un directeur se croyant en terrain conquis auront tendance à rejeter une autorité jugée contraignante.

Tout cela se juge, se jauge et s'inscrit durablement dès les premiers contacts.

Il faut savoir apprécier, deviner, sentir, de manière très intuitive, les instants favorables à certaines paroles, à certaines actions. Il s'agit de savoir observer, voir dans une grimace fugitive le refus profond que dément apparemment l'assentiment de convenance, entendre derrière le discours "professionnel" d'un collègue affleurer les difficultés personnelles de la vie privée et à l'inverse, saisir au-delà du masque de prétendus problèmes familiaux le rejet d'une politique de l'école imposée avec trop d'impatience.

Ces remarques valent évidemment au sein du groupe-classe. Il existe à cet égard des ouvrages sur la dynamique de groupe, la pédagogie interactive... Ne pas les connaître est une erreur. Les prendre au pied de la lettre peut conduire à des déconvenues. Le leader d'opposition n'est pas que cela. Le contestataire voudrait bien aussi se faire aimer. Derrière la simple apparence du soumis obéissant se cache parfois un dangereux forban.

Il faut aussi laisser entrer en nous, comme le disait Félix PÉCAUT, le plus possible de simple humanité. Car l'humanité est le gage de la complexité...

Il faut savoir se laisser porter parfois par l'intuition, feeling, l'empathie.

C'est parce que l'École, l'école, la classe, les êtres ne sont pas des machines qu'il convient de déterminer par l'observation attentive et créative ce que sont leurs rythmes, leurs points forts, leurs allergies, leurs latences riches de promesses et leurs patiences où germent de saintes colères. Contrairement aux machines qui sont insensibles à l'observation, les systèmes vivants réagissent à l'acuité de l'œil qui les scrute et s'en trouvent immédiatement modifiés. L'observateur, vivant lui aussi, ne reste pas neutre dans l'acte d'observer. Ce qu'il observe le transforme à son tour. Aucune observation ne préserve la virginité des protagonistes. Si j'observe à mon insu, je deviens autre. Littéralement, mon voyeurisme m'aliène et j'ai donc sur l'être observé un jugement qui ne peut être objectif.

Ainsi, les procédures d'évaluation du Système éducatif, aujourd'hui, sont-elles ressenties souvent comme les mesures inquisitoriales d'un système politico-administratif-médiatique dont la vocation essentielle serait d'humilier le corps enseignant. En retour, les enseignants, s'ils continuent de s'investir fortement dans leurs relations quotidiennes avec les enfants, se rétractent complètement face à tout ce qui ressemble de près ou de loin à l'administration. Ils éprouvent vis à vis des médias une méfiance mêlée de fascination. Le monde parental est à la fois craint, méprisé, quelque fois nié. Chacun s'enferme dans un rôle d'autant plus rigide qu'il est défini par un certain nombre de règles corporatistes qui s'opposent évidemment à la souplesse, à la nécessaire réconciliation, au compromis, au dialogue dépassionné. L'administration ignore les réalités complexes du terrain et prétend les faire entrer de force dans les carcans d'une jurisprudence régulièrement infirmée. Les enseignants se voilent la face sur la difficulté de la gestion d'un énorme appareil et les situations catastrophiques de familles en perdition, les parents exigent des résultats scolaires qu'ils jugeraient déraisonnables s'il s'agissait de courses hippiques.

Il aura fallu, au ministère d'Alain SAVARY, trois années pour lancer trois consultations nationales sur le Collège (Rapport LEGRAND), l'École primaire (Rapport FAVRET) et le Lycée (Rapport PROST). Tous les partenaires de l'acte éducatif ont eu alors l'occasion de s'exprimer dans un climat d'abord passionné puis, en définitive, dans un esprit de conciliation. C'est qu'il fallait dégager des solutions satisfaisantes pour tous.

Deux décennies se écoulées depuis ces événements...

Respecter les temps de réponse ne signifie pas non plus renoncer à obtenir des réponses ou faire impavidement confiance au temps qui passe...

 

 _____________

DES RYTHMES BIOLOGIQUES A LA CHRONOBIOLOGIE

par Alain Reinberg - Gauthiers-Cillars - 1974

 

Instituteur autodidacte, j'ai lu cet ouvrage à sa parution.

Parler de chronobiologie à cette époque, en conférence biologique, vous valait quelques souvenirs condescendants. Dans les années 80 et 90, les prosélytes de l'aménagement du temps de l'enfant se gargarisent d'une chronobiologie dont il faut convaincre prioritairement les transporteurs, les marchands de vacances de beige, etc.

Depuis, la messe est dite. Des départements entiers ont choisi la semaine de quatre jours : week-ends commerciaux obligent, le poids de la journée scolaire et celui du cartable d'écolier sont toujours aussi scandaleux... L'enfant est toujours au centre des discours. Rarement dans les décisions...

Dans une vingtaine d'années, sans doute, nous parlera-t-on de "pédagogie fractale"...

 

 

 


Dieppe, mercredi 5 Mai 1993

Vent d'est. Temps splendide. Excellente visibilité. Je suis sur la falaise qui domine le port et la ville au nord-est, là où se trouve la chapelle du Bon Secours. D'ici, j'ai une vue magnifique sur le port de Dieppe, la plage, les quais, les tours d'église, les bassins, le château au loin et les falaises du Pays de Caux. A mes pieds, le chantier de construction des prochaines installations portuaires est en pleine activité. Une grue immense (100 mètres ?) est installée sur des rails. Dans sa cabine vitrée, le tout petit machiniste manoeuvre le formidable engin. Le bac, au bout des filins, reçoit le chargement de béton d'un camion-toupie.
Puis il est dirigé délicatement vers les structures de maçonnerie où des hommes casqués d'orange vif s'agitent avec précision. Plusieurs tonnes de mortier sont vidées d'un coup, dans les coffrages. Il y a là, mieux que dans n'importe quel livre ou ouvrage didactique, avec les cris des mouettes, les départs et arrivées des ferries. des chalutiers, la pleine mer qui amorce son reflux, les architectures juxtaposées, le mouvement de la circulation routière et piétonnière, une merveilleuse leçon de géographie physique et humaine.

Je ne vois pas un enfant. Pas un adolescent... 

Les spectateurs du grand jeu de construction sont des retraités. Autrefois, comme moi, ils contemplaient les rouleaux compresseurs, les batteuses dans les fermes, les bulldozers de la reconstruction, les grues à crapaud qui chargeaient les betteraves, l'installation annuelle des forains. La machine avait encore cette magie rendue par l'art ironique de TINGUELY.

J'ai le temps et il fait beau. Je regarde longuement. Je visite la chapelle, les ex-voto et les plaques de marbre à la mémoire des victimes de la mer et de la guerre.

Vers 15 h 30, un enfant passe à bicyclette. Deux autres se battent à coups de cailloux avant d'être réprimandés par leur grand-mère qui les fait rentrer. Où sont passés les enfants du port normand de 36 000 habitants ? Ils sont devant la télé et dans les centres aérés de la ville.
Cette ville, ils ne la connaissent pas... 

 


DIDACTIQUE

LE BÉBÉ ET L'EAU DU BAIN

 

L'introduction des matières dites d'éveil en 1972 avait abouti au non-enseignement de l'histoire, de la géographie et des sciences naturelles classiques. Il y eut des réactions des historiens et du public répercutées par les médias. Les matières et les programmes ont été repensés. En 1984, des textes sur l'histoire et la géographie sont parus, réalisant une synthèse intelligente des diverses aspirations.

Ces textes ont été malheureusement abrogés par CHEVÈNEMENT.